Pas très clients de la prostitution

Une proposition de loi portée par le gouvernement et le Parti socialiste entend lutter contre la prostitution en pénalisant les clients. Au risque d’accroître la précarité des travailleurs du sexe.

Audrey Loussouarn  • 9 juin 2011 abonné·es
Pas très clients de la prostitution
© Photo : AFP / Bonaventure

Pour lutter contre la prostitution, pourquoi ne pas réduire la demande afin d’affaiblir l’offre ? Et donc pénaliser les clients. Telle est la proposition de la mission d’information sur la prostitution, qui a rendu son rapport le 13 avril à l’Assemblée nationale après dix mois de travail. Il faut combattre cette « traite des êtres humains », a déclaré la ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale, Roselyne Bachelot. L’objectif des sept élus PS et UMP constituant la mission est clair. La proposition de loi, qui pourrait entrer en vigueur dès 2012 si elle était votée, stipule que « les pays “abolitionnistes”, comme la France, ne rendent pas la prostitution illégale. Ils visent cependant à sa disparition en abolissant toutes les règles juridiques spécifiques à la prostitution, notamment celles qui pourraient la favoriser ». Présidée par la députée socialiste Danielle Bousquet, la mission parlementaire prolonge la Loi sur la sécurité intérieure de mars 2003. Celle-ci a fait inscrire le « racolage passif » dans le code pénal en tant que délit passible de deux mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende.

Le client* *est « à l’origine du système et de la traite de la personne », explique Danielle Bousquet dans un entretien au quotidien breton le Télégramme, le 1er mars. « Un ­affichage des priorités intolérable venant d’une femme politique prétendument de gauche », s’insurge Act Up-Paris dans un communiqué du 12 avril. Et Jonas Le Bail, responsable de la commission prévention d’Act Up-Paris, d’ajouter que, pour le moment, « aucune opposition forte à cette proposition de loi n’existe parmi les socialistes ».

« La prostitution est une sorte d’épouvantail à chaque approche d’élection, affirme Chloé, du Strass (Syndicat du travail sexuel). C’était déjà le cas en 2006. » Aujourd’hui, ce sont les demandeurs qui sont visés. Ainsi, Guy Geoffroy, député UMP et rapporteur du texte devant l’Assemblée, assure que, si le gouvernement réduit l’accès aux travailleurs du sexe, « il n’y aura plus de prostitution ». Les associations d’aide aux prostitué(e)s jugent cette proposition incohérente. Et, le 2 juin, les travailleurs du sexe étaient plusieurs centaines à défiler dans les rues de Paris. Selon eux, réprimer les clients ne ferait qu’aggraver leur précarité et les cantonnerait à la clandestinité. « Comment vais-je me nourrir si les clients ne viennent plus me voir ? », se demande Samantha, du Strass. Les prostitué(es) sont d’accord sur un point : ça ne les fera pas arrêter. Sauf qu’en interdisant le racolage passif, les autorités ont déjà accentué leur mobilité et leur isolement. Cette instabilité professionnelle met leur santé en danger. « Avec moins de clients, les travailleurs du sexe auront moins de revenus et accepteront des clients qu’ils refusent habituellement, comme ceux qui rejettent le port du préservatif », redoute Cécile Lhuillier, d’Act Up-Paris. « Ce n’est pas la prostitution qui est une violence faite aux femmes mais les conditions dans lesquelles elles exercent », rappelle Sarah-Marie Maffesoli, juriste du collectif Droits & prostitution.

Illustration - Pas très clients de la prostitution

Une nouvelle loi répressive aurait-elle raison du « plus vieux métier du monde » ? C’est l’objectif de la France depuis 1960, quand le Parlement optait pour un État abolitionniste. Internet a permis d’esquiver les poursuites pour racolage passif, les sites web permettant de n’être visible qu’à l’écran et non dans la rue. Pour échapper aux condamnations, les personnes prostituées évitent de plus en plus les lieux publics mais, ce faisant, elles s’éloignent des actions et structures de prévention.


Autre question soulevée par le Syndicat du travail sexuel : les conditions d’application de cette loi. Comment reconnaître un(e) prostitué(e) en exercice ? Et un client ? « Un couple qui se rejoint à l’hôtel devra-t-il se justifier ? s’insurge Chloé, du Strass. Cette loi est inapplicable ! » Selon la porte-parole du Strass, Maîtresse Gilda, « la solution pour améliorer les conditions des travailleurs du sexe reste la prévention, pour expliquer notamment aux clients qu’il faut systématiquement recourir au préservatif. Il faut aussi apporter du crédit aux associations qui défendent les droits fondamentaux des travailleurs du sexe ! » 
 Dans la législation actuelle, la profession n’est pas reconnue comme telle. Les prostitué(e)s payent des impôts, sont taxé(e)s par l’Urssaf, mais ne cotisent pas pour leur retraite. «  Une prostituée s’est fait condamner pour “travail” dissimulé, s’énerve Maîtresse Gilda. C’est bien la preuve que la justice considère la prostitution comme une profession ! »


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