Surendettement : voyage au bout de l’encours

La crise et surtout les choix politiques ont fait exploser le nombre de ménages qui peinent à rembourser leurs crédits. Reportage à l’association Crésus de Strasbourg, qui aide les personnes concernées.

Pauline Graulle  • 2 juin 2011 abonné·es
Surendettement : voyage au bout de l’encours
© Photo : AFP / Laban-Mattei

Grande blonde tirée à quatre épingles, Madame B. farfouille dans un tas de paperasses.  « Je suis toute perdue » , souffle-t-elle. Cet après-midi, elle s’est rendue à côté du quartier étudiant de Strasbourg pour voir son conseiller à l’association Crésus. Objectif du jour : constituer un dossier de surendettement auprès de la Banque de France. Laquelle acceptera, ou non, la mise en place d’un échéancier de remboursement, voire l’annulation partielle de ses dettes. Au total, 62 000 euros. « J’ai peur que les créanciers aillent se servir directement sur notre compte… » , dit Mme B., rougissant d’inquiétude. Jean-Claude tapote sur sa calculette : 1 740 euros de revenus mensuels pour le couple (Mme B. est aide à domicile à mi-temps), moins 400 euros de loyer, moins 200 euros d’essence pour la vieille Passat « qui “boit” beaucoup plus que l’ancienne, qu’on a dû rendre » … *« Vous pouvez rembourser 108 euros par mois sur 96 mois, tranche le conseiller. Ça fait pas lourd, mais on verra bien ce qu’en dit la Banque de France… En attendant, pas de nouveau crédit, hein ? »
*

Des « Mme B. », terrassées par des dizaines, voire des centaines de milliers d’euros de crédits, on en rencontre dix fois par jour dans les locaux de Crésus Alsace [^2]. Cette année, l’association strasbourgeoise, 20 ans d’expérience, est même dépassée par l’afflux. En 2010, elle a ainsi ouvert plus de 3 600 nouveaux dossiers en lien avec le surendettement, soit 24 % de plus qu’en 2009. « Pendant la crise, beaucoup de gens, tombés au chômage ou au RSA, ont vécu grâce au crédit, explique Matthieu Arias, chargé du développement de Crésus. Aujourd’hui, leur situation ne s’est pas améliorée et ils s’aperçoivent qu’ils ne peuvent plus rembourser. » Sans parler de ceux qui avaient contracté des crédits pour…rembourser leurs dettes (un « cavalier » dans le jargon).

Résultat, au moindre accident de la vie (licenciement, divorce, problèmes de santé…), l’épée de Damoclès tombe. Et tue parfois, comme récemment à Amiens, où un ouvrier a égorgé toute sa famille.

Mais si ces «  microbulles  » de dettes sont en train d’exploser une à une – avec autant de tragédies personnelles –, le phénomène du surendettement va bien au-delà des aléas de la conjoncture. « La crise n’est qu’un déclencheur, souligne Matthieu Arias, elle fait s’écrouler un système qui lui préexistait. » Jean-Louis Kiehl, président de Crésus, confirme : « L’année dernière, 220 000 nouveaux dossiers de surendettement ont été déposés à la Banque de France. En tout, 800 000 ménages sont concernés. L’année prochaine, on en attend 300 000 de plus. Cette explosion est due en partie à la crise, mais pas uniquement. »

Car la massification du crédit est en train gagner la France, aussi sûrement et rapidement que le gouvernement poursuit sa politique de rigueur budgétaire. Un État qui oblige désormais ses citoyens à régler individuellement la note de son désengagement dans l’éducation ou dans la santé, et de la casse des systèmes de solidarité nationale. « Le crédit, c’est comme le cholestérol, il y a le bon et le mauvais crédit » , déclarait d’ailleurs Christine Lagarde, ministre de l’Économie, lors du vote de sa loi contre le surendettement (voir ci-dessous). Ou comment, par un effet de vases communicants, la dette publique se retrouve transférée sur les ménages…

Fini, donc, le temps où le surendettement était cantonné à quelques joueurs compulsifs ou flambeurs d’un week-end. Les conditions économiques dégradées ont poussé dans leurs retranchements les plus pauvres, devenus plus pauvres encore. « On voit arriver de plus en plus de personnes qui s’endettent parce que les minima sociaux ne leur permettent plus de se payer un loyer ou à manger » , s’inquiète Nathalie Bueb, chargée de mission à Crésus Alsace. Autres victimes de l’austérité économique, les classes moyennes, précipitées dans le surendettement du fait de la précarité ou des salaires qui stagnent, notamment dans la Fonction publique. Derniers venus dans la spirale de l’endettement, et non des moindres, les séniors – leur part a augmenté de 10 % en dix ans. Comme ces retraités qui n’arrivent plus à payer une complémentaire santé dont le prix a augmenté…

Dans ce contexte, le matraquage des annonceurs qui, après avoir envahi les médias traditionnels, pullulent sur Internet, n’incite pas à la mesure. La tentation vient de partout et les mœurs ont changé. D’où l’explosion des frais de communication « multipliés par quatre à cause de la téléphonie mobile » , estime Jean-Bernard, ancien du secteur bancaire aujourd’hui bénévole à Crésus. Ce à quoi il faut ajouter « la virtualisation des rapports sociaux, qui va à l’encontre des comportements rationnels » , analyse Matthieu Arias. Mais aussi « la satisfaction immédiate des besoins , poursuit Nathalie Bueb. Demandez aux gens de revenir aux modes de consommation de leurs parents : ils ne seront pas d’accord ! Il n’y a pas d’un côté les gentils surendettés et les méchantes banques. »

N’empêche. Les établissements de crédits à la consommation ne se font pas prier pour prospérer sur la misère et le miroir aux alouettes de la surconsommation. Envie de passer des vacances au soleil ? De repeindre son salon ? Cétélem, Sofinco, Cofinoga ou Cofidis proposent de trouver « votre solution crédit en quelques clics » (sic). Derrière ces noms se cachent en réalité les banques traditionnelles (la BNP-Paribas et le Crédit agricole détiennent la moitié d’un marché de 40 milliards d’euros) qui accordent d’une main les crédits qu’elles refusent de l’autre. « Au lieu de prêter de manière responsable, explique Jean-Louis Kiehl, les banques laissent à leurs filiales le soin de diffuser des crédits aux taux ­d’intérêts faramineux, ce qui leur permet de se faire de l’argent tout en gardant une image convenable. »

On les comprend : les « crédits revolving », distribués par les établissements de crédit à la consommation, ont mauvaise presse. Ces sommes d’argent déposées en permanence sur un compte et dans lesquelles on pioche sans trop se rendre compte sont en effet un véritable piège. « En général, les mensualités des revolving sont comprises entre 17 et 21 % contre environ 4 % pour un crédit habituel , s’indigne Jean-Bernard, retraité bénévole à Crésus. Du coup, les gens se retrouvent à rembourser un tiers de capital pour deux tiers de taux d’intérêt. C’est du racket ! »

Mme T., infirmière à l’hôpital de Strasbourg, opine du chef. Il y a quelques années, elle s’est fait remettre deux cartes de crédit Accord à la caisse de son supermarché Auchan. Avec, sur chacune, 3 000 euros. De quoi se laisser aller à quelques achats de trop… Un divorce plus tard, « je dois des milliers d’euros, et les organismes bancaires me harcèlent pour que je rembourse, au point que j’ai dû changer de portable, s’énerve-t-elle. Si j’avais su… »

D’autant qu’en coulisse, le surendettement a un coût. Énorme. Sachant que le traitement d’un ­dossier par la Banque de France s’élève à 1 600 euros, plus de 300 millions d’euros ont été dépensés l’année dernière par les contribuables. « Sans compter le manque à gagner des dettes fiscales non réglées et les neuroleptiques payés par la Sécu ! » , pointe Matthieu Arias. À quelques-uns, malheur est bon.

[^2]: Crésus (chambre régionale du surendettement social) est une fédération de 19 associations réparties sur 117 « points de contact » en France. Le siège est à Strasbourg.

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