Agriculture et nature en chœur

De plus en plus, les parcs nationaux et les réserves naturelles accueillent des activités agricoles, dès lors qu’elles sont compatibles avec la préservation de la biodiversité. Reportage.

Claude-Marie Vadrot  • 28 juillet 2011 abonné·es
Agriculture et nature en chœur
© Photo : Tanneau / AFP

Les parcs nationaux et les réserves naturelles ont été imaginés il y a quelques dizaines d’années, puis peu à peu créés, à la demande des naturalistes soucieux de préserver la biodiversité végétale et animale face à l’urbanisation, au mitage résidentiel, à la simplification du territoire et aux excès de l’agriculture ou de la chasse. Mais, au fur et à mesure que se modifiaient les données écologiques, ils ont cessé d’être le seul terrain de jeu des scientifiques, et il est apparu que des activités humaines pouvaient coexister sereinement avec cette préservation de la nature.


D’abord voués à la seule défense des côtes contre le béton des promoteurs, les espaces du Conservatoire du littoral ont ainsi été réinvestis par des activités économiques ou agricoles compatibles avec la biodiversité et la protection des paysages. Chacun des parcs nationaux et des réserves naturelles permet la découverte de sa flore, de sa faune et de ses paysages, mais la balade ne perd rien à offrir également une initiation à l’élevage extensif, à la culture maraîchère, à la production du vin, du cidre ou du miel, au ramassage du sel, à l’ostréiculture, à l’élevage des crevettes ou au ramassage de la salicorne ! Dès lors que ces « exploitations » s’insèrent sans les déranger dans des espaces préservés ou restaurés par l’homme.

Après le port de La Madrague, à la sortie de Saint-Cyr-sur-Mer, un sentier longe jusqu’à Bandol un espace du Conservatoire du littoral comprenant 161 hectares. Du haut de falaises fantastiques, on voit la baie de La Ciotat, l’archipel de Riou, une plage minuscule, de grands cormorans qui pêchent en paix, beaucoup d’autres oiseaux de mer et de terre. Aux pieds du promeneur qui se faufile entre des pins courbés, une vingtaine d’espèces d’orchidée sauvage et toutes les senteurs imaginables de la flore méditerranéenne.
Surprise : à l’intérieur des collines boisées, des vignes s’étagent vers la mer. C’est le domaine de Nartette, vignoble de 17 hectares produisant en bio un vin de Bandol d’appellation d’origine contrôlée. Non loin de l’ancien chemin des douaniers, on peut ainsi se réconforter d’un rouge ou d’un rosé à 13 °, avant de repartir comme on est venu, à pied.


Sur chaque bouteille de ce vin produit sur un vignoble lui appartenant, le Conservatoire du littoral touche une ristourne qui lui permet de sauver d’autres espaces littoraux sur cette côte convoitée. Chaque année, de Bandol au Pays d’oc, en passant par le muscat de Gruissan, les espaces du Conservatoire produisent plus de 300 000 bouteilles de vin. Non loin, dans le massif des Maures, entre Hyères et Fréjus, le site de Pardigon est en passe de redevenir un domaine viticole plutôt qu’un golf…
Le vin, le promeneur peut le retrouver sur l’île de Porquerolles, qui est une extension du parc national de Port-Cros. En 1971, pour mettre le holà à des projets immobilier faramineux, l’État acheta toute l’île, maintenant gérée par le parc.


Malgré la fréquentation estivale, une extraordinaire richesse végétale et faunistique est préservée, et cohabite avec trois vignobles, dont le Domaine de l’île et le Domaine de la Courtade. Le rosé, classé côtes de Provence, est dominant, mais les rouges et les blancs méritent également le détour. Ils sont bios, bien sûr, parc national oblige.
Ce retour au passé de Porquerolles, qui fut un immense domaine agricole au début du XXe siècle, est complété par une exploitation maraîchère obéissant aux principes de l’agriculture raisonnée. « Presque bio, dit Alain Rattalino, qui vend directement sa production sur l’exploitation, mais nous sommes souvent à la limite de la rentabilité, surtout quand il y a, comme en ce moment, un vent chargé d’embruns salés qui dessèche nos haricots verts, nos salades, nos melons et nos pastèques, que nous vendons aux estivants. » 
Ce retour agricole est un joli retour des choses puisque la famille Fournier, qui possédait le domaine il y a plus d’un siècle, pratiquait une agriculture « naturelle », c’est-à-dire résistant à l’industrialisation, et qui ne s’appelait pas encore « bio »…

La protection de l’espace en chiffres
  • 6 parcs nationaux en métropole : la Vanoise, Port-Cros-Porquerolles, les Cévennes, les Écrins, les Pyrénées et le Mercantour.
  • 3 parcs nationaux dans les DOM-TOM : en Guadeloupe, à La Réunion et en Guyane.
  • Un espace écologiquement hybride : le parc naturel marin d’Iroise, à la pointe de la Bretagne.
  • 161 réserves naturelles nationales : la plus grande est celle des hauts plateaux du Vercors (17 000 hectares) et la plus petite (un hectare) celle de Saint-Nicolas des Glénan.
  • Les espaces du Conservatoire du littoral et des espaces lacustres acquis en pleine propriété inaliénable depuis sa création en 1975 : 138 000 hectares de zones littorales répartis sur 1 200 km de côtes sur les 5 533 km du linéaire côtier métropolitain.
Comme à Port-Cros, il est formellement interdit de fumer sur l’île, en dehors du village. Non pour préserver la santé des habitants et des visiteurs mais parce qu’à la fin du XIXe siècle, l’île fut ravagée par un incendie pendant une quinzaine de jours, épisode dramatique qui est encore dans toutes les mémoires.
Pas question de partir sans avoir visité le Conservatoire botanique installé sur l’île, avec ses 313 variétés de figuiers, ses 192 variétés de pêchers, ses 50 variétés de mûriers et ses 85 variétés de vigne. Les 200 habitants du village en cueillent un peu, et le maraîcher de l’île commercialise le reste. Les figues, notamment, sont un authentique régal.
Cette agriculture compatible avec la préservation de la biodiversité se développe dans tous les autres parcs nationaux, où l’élevage et la transhumance ont également repris du poil de la bête. Dans le Mercantour et la Vanoise, mais aussi dans le parc des Cévennes, cultivé par 428 exploitants agricoles, dont 90 ont leur siège dans la partie centrale. Certains exploitent à nouveau une partie de l’immense châtaigneraie ainsi que des centaines de ruches qui prospèrent en l’absence de produits phytosanitaires. Les brebis, quant à elles, entretiennent le mont Lozère et reçoivent en échange le label du parc.
De l’agriculture encore dans de nombreux terrains qui sont la propriété du Conservatoire sur la côte normande. Avec notamment une production d’un cidre très goûteux et de l’élevage, comme sur la façade atlantique.


Rien que dans le sud de l’estuaire de la Loire, 80 conventions ont été signées avec des éleveurs qui doivent respecter le paysage, proscrire les clôtures, éviter les engrais et s’interdire d’utiliser des produits phytosanitaires. Les conventions sont signées avec des paysans qui deviennent locataires du Conservatoire : ces nouveaux venus sont souvent de jeunes agriculteurs en quête de terres pour travailler. Sur tout le littoral atlantique, ils sont un peu plus de 200 à se retrouver ainsi fermiers de l’État.
Protecteur des côtes, souvent en lien avec les réserves naturelles de la Ligue pour la protection des oiseaux, le Conservatoire du littoral participe également à la préservation ou à la restauration des marais salants.

De la presqu’île de Guérande à l’île d’Oléron, en passant par l’île de Ré et la baie de l’Aiguillon, les saulniers ou paludiers locataires récoltent chaque année plus d’un millier de tonnes de sel. Ces exploitations respectent toute une faune limicole, comme les avocettes, les aigrettes garzettes, les échasses blanches, les courlis ou les tadornes de Belon, oiseaux revenus grâce à l’alliance réussie entre protection et économie douce.
L’année dernière, la tempête Xynthia a fait d’importants dégâts. L’exploitation de Ludovic Pannetier, dans la réserve naturelle de Lilleau des Niges, sur l’île de Ré, a dû refaire un par un les 110 « œillets » de son marais salant et remplacer, avec l’aide financière du Conservatoire, les 220 brebis noyées dans l’inondation.
Sur la commune de Loix-en-Ré, également locataire du Conservatoire, Frédéric Voisin récolte du sel, élève des huîtres et fait nettoyer ses bassins par des gambas, qu’il commercialise ensuite. Il récolte aussi de la salicorne sur un domaine de 600 hectares.
Le Conservatoire accueille également de nombreux ostréiculteurs qui remettent en état les canaux d’eau douce ou saumâtre. Entretien qui permet le retour de la faune. Les animaux ont beaucoup souffert de la tempête de 2010, notamment dans la réserve naturelle du marais d’Yves, entre Rochefort et La Rochelle. Mais, aux dernières nouvelles, les chevaux et les vaches des Highlands sont revenus…

Écologie
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