Avec Anémone, respire !

Denis Sieffert  et  Christophe Kantcheff  et  Jean-Claude Renard  • 28 juillet 2011 abonné·es

Illustration - Avec Anémone, respire !


Anémone adorait les tournées. À ses yeux, prendre son manteau de pèlerine pour rencontrer des gens et prononcer des discours, bref, faire campagne, ou jouer chaque soir dans une ville nouvelle, c’était kif-kif. La Thérèse du Père Noël est une ordure était une actrice populaire, et la femme qui avait décidé de donner un coup de pied dans la fourmilière politique souleva rapidement l’enthousiasme. Partout où elle passait, toujours accompagnée de Turlutte, dans les entreprises, les bourses du travail ou les salles des fêtes, les marques de sympathie affluaient, et son discours rencontrait l’assentiment des travailleurs, des chômeurs, des précaires, et de tous ceux qui avaient besoin d’oxygène. « Avec Anémone, respire ! » Le slogan faisait un malheur. C’est fou le nombre de gens qui respiraient mal, dans la France de 2012…


La cote d’Anémone frémissait dans les sondages. Mais sans plus. « On s’en fout, des sondages, non ? », répétait Anémone à sa petite équipe de campagne, de jeunes intermittents du spectacle avec qui elle avait joué précédemment, et qui lui avaient proposé leurs services, par conviction et par amitié, dès qu’elle s’était déclarée candidate. « Oui mais quand même, lui répondaient-ils, ça donne une indication. Pour l’instant, à gauche, tu n’es pas encore en tête. »



Les circonstances arrangèrent les choses. À la fin du mois de mars, un coup de théâtre – encore un pour le PS ! – mit à terre François Hollande dans la course à l’élection. L’objet du « délit » était une interview donnée à la fin de l’année précédente, dont il s’était pourtant assuré qu’il n’en restait aucune trace. Elle était aujourd’hui sur le web, où elle faisait un buzz d’enfer. On y voyait le candidat socialiste au bout du rouleau, exténué, la voix enrouée après une réunion publique, étrangement seul, d’abord réticent à répondre à une interview réalisée à l’improviste par un jeune homme – c’est du moins ce que laissait entendre la voix de l’interviewer – profitant de l’état de fatigue de son interlocuteur ; puis, pris par son flot de paroles dénotant une souffrance intérieure qui enfin trouvait à s’exprimer, François Hollande se laissait aller à dire tout ce qu’il avait sur le cœur : il en avait marre de sa campagne, il ne croyait plus en un seul de ses thèmes, tous les socialistes lui « cassaient les bonbons », le seul qu’il enviait c’était Borloo, parce qu’au centre on pouvait ménager la chèvre et le chou, et ça, c’était son idéal, rester dans le flou, ne pas choisir, ne rien changer… Une horreur !



À quelques semaines du premier tour, l’interview catastrophe eut l’effet d’un tremblement de terre. Tandis que Nicolas Sarkozy fêta l’événement en emmenant son nouveau-né pour la première fois de sa vie à Disneyland, la gauche vacillait. En particulier chez Europe Écologie-Les Verts, où l’atmosphère était au débat :


  • S’pèce de con, tu vois pas qu’on va dans le mur si on rallie Hollande !


  • Et toi, grognasse, tu crois que c’est maintenant qu’il faut changer de stratégie ! Personne va rien y comprendre !


  • Enfoiré de machiste !


  • Sainte-nitouche !


Tandis que les plus à gauche du PS se mettaient à regarder ce qui se passait chez Mélenchon. Là, on commençait à croire aux miracles. On entendait même chuchoter dans les couloirs du QG du candidat du Front de gauche un curieux mantra : « Le ciel s’éclaircit pour notre grand Méluche, le ciel s’éclaircit pour notre grand Méluche… »


Illustration - Avec Anémone, respire !

Seule Anémone gardait la tête froide. L’interview de Hollande l’avait fait sourire en même temps qu’elle le trouvait pathétique. Elle se disait que toute cette gauche n’avait décidément rien compris. Le nabot n’allait quand même pas repasser une deuxième fois ! Sa candidature lui semblait maintenant plus que légitime : elle seule pouvait et devait être élue ! Sa détermination était décuplée quand son téléphone sonna.


  • Ah oui ?, répondit-elle à son interlocutrice. OK, rendez-vous chez Raymond, le café du coin de la rue de Charonne.



  • Salut.


  • Bonjour Anémone.


Cécile Duflot s’assit face à la comédienne.


  • Alors, quel bon vent vous amène ?


  • Depuis les derniers événements que vous savez, nous avons longuement débattu au sein de notre mouvement, très sereinement. Et nous sommes arrivés à la conclusion que nous devions changer de stratégie. Soutenir Hollande n’est plus possible pour nous, soutenir Mélenchon n’est pas envisageable. Par conséquent…


  • Vous avez décidé de me soutenir. OK, c’est bien. Voilà comment on va faire.
Et, dans le brouhaha du café bondé, les deux femmes se mirent à parler de la marche à suivre, à peine interrompues par Turlutte, qui aboya sauvagement au passage d’une blonde mastoc.

  • Mais non, Turlutte, c’est pas la fille Le Pen !, lui lança Anémone pour le calmer.


Dès lors, la marche de l’histoire s’accéléra. Avec le ralliement officiel d’EELV, Anémone fit un bond dans les sondages, laissant loin derrière elle François Hollande, qu’on eut peine à retrouver après sa mésaventure, caché qu’il était dans une cabane en Corrèze, ne voulant plus voir personne. Contrairement à ce que ses disciples envisageaient, la cote de Jean-Luc Mélenchon ne bénéficia que faiblement de l’effondrement du candidat du PS. Anémone était désormais la mieux placée dans la confrontation avec Nicolas Sarkozy, qui caracolait en tête à droite. Le président sortant avait atomisé Marine Le Pen en reprenant un à un ses thèmes et en débauchant tous ses ennemis de l’intérieur du FN, Gollnisch en tête. Quant à Borloo, Bayrou et Villepin, « les pieds nickelés », comme les appelait Sarkozy, ils se neutralisaient parfaitement les uns les autres sans qu’il y ait à remuer le petit doigt.

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