Dark side of the doc

Une enquête de la Scam insiste sur la grande précarité des auteurs réalisateurs, les abus de nombre de producteurs et l’ingérence croissante des diffuseurs dans le processus créatif.

Jean-Claude Renard  • 14 juillet 2011 abonné·es
Dark side of the doc
© Photo : AFP / Coex

La Société civile des auteurs multimédia (Scam), maintenant présidée par le réalisateur Jean-Xavier de Lestrade, succédant à Guy Seligmann, revient sur l’état du documentaire en s’appuyant sur une longue enquête présentée lors du festival Sunny Side of the Doc [^2], qui s’est tenu fin juin à La Rochelle. Faite de témoignages ** le plus souvent sous couvert d’anonymat, elle souligne plusieurs points, à commencer par celui-ci : un auteur réalisateur sur deux se dit satisfait de son producteur. Voilà une moyenne assez faible ** quand on songe aux rapports inévitables entre l’un et l’autre, et nécessaires à l’aboutissement d’une œuvre.

Seuls 8 % des producteurs respectent l’obligation légale de la reddition des comptes, tandis que trois producteurs sur quatre ne font jamais parvenir de comptes annuels à leurs auteurs. Un manque de transparence, c’est le moins que l’on puisse dire. Si 39 % des auteurs obtiennent entre 1 et 3 % des recettes nettes, 67 % ne voient jamais la couleur de cet argent qui leur est dû. 
Se dégage surtout de ce document un fort sentiment de précarisation. En effet, il n’existe pas de salaire minimum pour les auteurs réalisateurs. L’enquête révèle qu’un sur deux, en 2010, a reçu un salaire hebdomadaire inférieur à 1 000 euros brut (pour beaucoup, c’est aussi le salaire mensuel net). 


Le mode de rémunération pose aussi un problème : au regard de la loi, le salaire rémunère le travail pour faire un film, et le droit d’auteur rémunère l’exploitation de l’œuvre. « Pourtant, dans 70 % des cas, les producteurs ont payé les auteurs en conjuguant salaire et droit d’auteur dans des proportions non négligeables, les droits d’auteur représentant 30 à 50 % des rémunérations. » Ce sont aussi à ces auteurs réalisateurs que l’on demande des dossiers de plus en plus denses et fournis, nécessitant plusieurs semaines et plusieurs mois de travail sans aucune contrepartie financière.


Une surprise tout de même dans cette étude : 60 % des auteurs jugent satisfaisante la relation avec les diffuseurs. Question de verre à moitié plein ou vide. Cette majorité étonnante contient son bémol : elle révèle une fracture générationnelle. Les moins de 40 ans sont plus satisfaits que leurs aînés, sans doute parce que plus habitués aux formatages imposés (52 minutes, par exemple), plus réceptifs aux contraintes, notamment ce formatage qui « vient de la peur du diffuseur de perdre de l’audience, entre autres, durant les dix premières minutes », estime Mariana Otero, réalisatrice.


Parallèlement, beaucoup d’auteurs réalisateurs (56 %) se plaignent de l’ingérence des diffuseurs, plus importante que les années précédentes. En effet, « il n’est pas rare, observe Jean-Xavier de Lestrade, qu’un diffuseur se trouve dans la salle de montage ! ». Sans parler de la voix off à revoir, ou du commentaire à réécrire et du choix de la voix. Pour le réalisateur Stan Neumann, en effet, « les diffuseurs croient tout savoir. Ils ont la solution, ils donnent la recette, disent comment monter une séquence, combien de temps doit durer un plan ». In fine, 23 % des auteurs considèrent que leur dernier film ne correspond pas à leur projet initial. De quoi avoir le sentiment d’être un simple prestataire technique pour un quart de la profession.


Foin d’étonnement, alors, si une grande partie des auteurs expriment le flou qu’ils ressentent devant l’identification des chaînes de France Télévisions. « Au contraire de Radio France, juge Guy Seligmann, où l’on distingue nettement Inter, France Musique, France Info ou France Culture, on peine à identifier France 2, France 3 et France 4, voire France 5. » Pour le coup, à regarder les programmes de France 5 et ceux de France O, dépourvus des jeux stupides et des magazines voyeuristes, c’est un tantinet exagéré. France 5 se veut gros fournisseur de documentaires, et alterne nombre de magazines ; France O, en attendant une rentrée plus généraliste, se fait l’écho de l’outre-mer et du bout du monde, entre programmations musicales et reportages. 


Ultime doléance, encore dans cette enquête particulièrement riche et instructive : la porosité croissante entre le documentaire, le reportage et le magazine. Une porosité et une perméabilité où tout se vaut, au détriment de l’écriture documentaire, et qui arrange bien les diffuseurs, bien plus portés vers l’habillage que sur le fond, vers la parole directe et le commentaire que sur la réflexion, l’immédiateté prétendument imparable (parfois « implacable ») plutôt que l’analyse écrite.


[^2]: « États des lieux du documentaire » , téléchargeable sur le site : www.scam.fr

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