France, État violent ?

Ingrid Merckx  • 7 juillet 2011 abonné·es

Aussi loin que l’on remonte, l’émergence de la violence politique a toujours été précédée par des discours. C’est-à-dire préparée par des éléments de langage qui organisent la déshumanisation en désignant, par exemple, des groupes de « sous-hommes », dont la dévalorisation est pensée, écrite et parlée avant d’être mise en œuvre.

« Langage et violence, les effets du discours sur la subjectivité d’une époque » était le thème du colloque organisé les 17 et 18 juin par l’Association Primo-Levi à Paris [^2]. « Il s’agit de repérer comment nos patients sont affectés par les discours politiques qui prévalent dans leur pays d’origine, mais aussi en France, où ils viennent chercher refuge. Et comment les professionnels qui les prennent en charge sont également traversés par ces discours… » , explique Helena D’Elia, psychanalyste et clinicienne au Centre Primo-Levi [^3]. Deux niveaux de violence se répondent, la seconde venant réactiver la première pour les victimes, et créer un malaise chez les témoins. Pas de confusion entre les deux, ni entre les systèmes, ni entre les époques, mais des liens, et des références communes, comme les écrits d’Imre Kertesz sur la langue totalitaire et LTI, la langue du IIIe Reich de Viktor Klemperer.

« La France n’est plus une terre d’asile ! , tempête Sibel Agrali, présidente de l’Association Primo-Levi. Dans les années 1970, on accueillait les réfugiés chiliens comme des “combattants de la liberté”. Aujourd’hui, on accueille “malgré nous”. » En seize ans, elle a vu les discours changer et les conditions se durcir : « Il y a cinq ou six ans, je ne voyais pas de patients qui avaient faim ! Ils étaient logés en Centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) ou par leur communauté. Aujourd’hui, il n’y a plus de place en Cada, les communautés ont peur. La plupart sont hébergés en grande banlieue dans des hôtels insalubres. Ils sont rentrés dans le droit commun. Et peu obtiennent le statut de “réfugié”. » La plupart deviennent des « déboutés », « même quand ils portent des traces de torture sur le corps ! » , s’indigne Aurélia Malhou, juriste à l’association.

Pour le psychanalyste Michel Plon, la France est tombée sous le coup d’un « discours anesthésiant, dans la lignée du discours du IIIe Reich et dans ce qu’Éric Hazan appelle le langage de la Ve République, correspondant à l’instauration du néolibéralisme » . Il s’agit d’un langage qui « endort les populations en travestissant la réalité, sociale, économique et politique avec des modalités telles que des évidences – forcément indiscutables – et l’absence d’alternatives. Il a pour particularité de contenir la violence et d’être en lui-même un discours qui produit de la violence » .

Ni totalitarisme ni nazisme mais sécuritarisme, analyse le magistrat Serge Portelli : le principe de précaution est détourné de son sens dans le but d’éviter que des hommes « dangereux » – « racailles, « fous », « étrangers »… – ne puissent mettre en péril la sécurité de « victimes » potentielles. « Avec cela, on peut ficher, mettre sous contrôle et enfermer une partie de l’humanité. » Comment lutter ? Pied à pied, mot à mot, en s’attachant à rétablir le mot et son sens à chaque fois que c’est possible. Qu’est-ce, par exemple, qu’un « pays d’origine sûr »  ?

[^2]: Voir la revue Mémoires, « Langage et violence : les effets des discours sur la subjectivité d’une époque », n° 53, juin 2011, 7,50 euros.

[^3]: Association Primo-Levi, 107, av. Parmentier, 75011 Paris, 01 43 14 88 50

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