L’affaire de l’Observatoire


Denis Sieffert  et  Christophe Kantcheff  et  Jean-Claude Renard  • 28 juillet 2011 abonné·es

Illustration - L’affaire de l’Observatoire


La droite s’ébrouait à peine après le séisme. Jean-François Copé et Xavier Bertrand en étaient encore à s’accuser mutuellement d’être à l’origine de la défaite. Les plus avisés savaient surtout que la bataille se mènerait sur un autre terrain. On comptait sur une rapide dégradation des finances publiques, un accroissement de la dette et une intervention des agences de notation. Celles-ci avaient été précédées, hélas, par le socialiste Pascal Lamy, patron de l’OMC, qui tirait à boulets rouges sur le gouvernement. Ce dont se gardait bien la rue de Solferino. Du côté du gouvernement, on savait que la première année serait compliquée, avant que la réforme fiscale et la taxation des profits ne portent leurs fruits pour rééquilibrer les finances publiques. Mais les vraies questions doctrinales avaient pour l’heure été éludées. Le ministre de l’Économie venu des rangs du Front de gauche imposait par la force des choses une politique de relance de bonne tradition keynésienne. Tout en sachant que telle n’était pas la voie de l’avenir. Il avait le soutien enthousiaste de Pierre Mauroy. La question de la réduction du temps de travail, et de son partage, et même plus largement la question de la décroissance allaient tôt ou tard se poser. Discret au cours des deux premiers mois, Pierre Larrouturou commençait à faire entendre sa petite musique. Il avait produit une tribune dans le Monde sous le titre « N’oublions pas les 32 heures ». Mais c’est toujours au moment où s’annoncent les débats les plus délicats que le subalterne éclipse l’essentiel. Il avait été convenu dès les premiers jours du nouveau gouvernement que le parc automobile ministériel, qui s’étendait aux cabinets et aux hautes administrations — en tout 75 000 automobiles — serait quasiment supprimé. On garderait quelques véhicules pour des situations d’urgence.

Mais l’invitation à prendre les transports en commun, acceptée dans son principe début juillet, fit problème quand il fallut la mettre en œuvre quatre mois plus tard. Le débat fut relancé par l’agression dont avait été victime dans la rue Christian Picquet. Pris à partie par deux militants d’extrême droite près de la bouche de métro Port-Royal, il n’avait dû son salut qu’à sa présence d’esprit : il avait enjambé un bosquet et s’était réfugié dans les jardins de l’Observatoire. Le renoncement aux limousines officielles ne posait-il pas, au moins pour certains ministres très en vue, un problème de sécurité ? On nuança la mesure. Comme si la réalité s’ingéniait malicieusement à toujours faire reculer le curseur des décisions les plus radicales. Mais, au total, ces mesures étaient évidemment très populaires dans l’opinion.


Fin septembre, les pressions de l’Union européenne et du FMI se faisaient plus insistantes. Il y avait les visiteurs du soir, qui n’étaient pas sans rappeler ceux qui, en 1982 et en 1983, avaient fini par convaincre Mitterrand d’abandonner sa politique de relance pour en venir à l’austérité. Pascal Lamy, déjà cité, faisait bien le voyage une fois par semaine. L’ex-communiste Philippe Herzog, qui tentait un retour au premier plan, plaidait la même cause. On avait même aperçu Bernard-Henri Lévy, qui faisait volontiers antichambre à l’heure crépusculaire, mais pour une tout autre cause : il voulait convaincre les deux Premiers ministres de ne pas choisir — comme il en était question — Ramallah et Jérusalem-Est comme première destination officielle à l’étranger. Le philosophe engagé sortait lui-même d’une douloureuse période de dépression consécutive au résultat de l’élection. Il avait fait un bref séjour dans le service psychiatrique de l’hôpital Tel-Hashomer de Tel-Aviv. Au plus fort de sa déprime, il avait annoncé son intention de s’engager dans les commandos de l’armée israélienne. La rumeur colportait qu’il avait essuyé un refus de la hiérarchie militaire. Le chef d’état-major, le général Benny Gantz, lui aurait conseillé de ne rien changer à son activité habituelle de propagande : « Croyez-moi, lui aurait-il dit, c’est par vos fréquentes interventions dans la presse française que nous nous êtes le plus utile. » Mais, puisqu’il nous faut en revenir aux visiteurs du soir qui rappelaient leurs homologues de 1982, nous devons préciser qu’il y avait cette fois une différence. Ceux-là n’étaient pas les derniers de la journée. Vers 23 heures, heure à laquelle il n’était pas rare de voir encore bien des lumières allumées à Matignon, Delapierre et Placé recevaient les « visiteurs de la nuit ». Férocement opposés aux précédents, ces derniers plaidaient pour la sortie de l’euro et même de l’Union européenne. L’ancien communiste Jacques Nikonoff et le politologue Jacques Sapir étaient les plus constants. Devant la complexité de la tâche, on eut l’idée, côté Front de gauche, de consulter le peuple par voie référendaire. Une idée qui n’enchantait pas les écologistes. Lesquels s’appuyaient sur l’avis du constitutionnaliste Dominique Rousseau, toujours très méfiant à l’égard de ce genre de consultation qui pouvait, selon lui, donner lieu à une surenchère démagogique.

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