Apprendre ne s’apprend plus

2010-2011 fut difficile pour les enseignants issus de la réforme. les recrues 2011-2012 réclament une remise à plat urgente.

Ingrid Merckx  • 1 septembre 2011 abonné·es

«Les professeurs et CPE stagiaires connaissent des conditions particulièrement brutales de découverte et d’entrée dans le métier », alertait le Snes dès le mois d’octobre. 2010-2011 fut l’an 1 de la réforme de la masterisation, qui a abrogé le cahier des charges en matière de formation. Le second degré et les voies professionnelles ont été les plus éprouvés. Les professeurs des écoles stagiaires (PES) du premier degré ont bénéficié (mais seulement pour 2010-2011) de quelques semaines de formation jusqu’à la Toussaint, mais les lauréats du Capes et de l’agrégation se sont retrouvés directement devant des classes dès la rentrée. Certains n’avaient jamais fait cours, la plupart ne connaissaient que la discipline présentée au concours. Tous n’avaient que leur master fraîchement décroché en parallèle d’un des concours de l’enseignement. Or, tous les masters ne se valent pas : « Certains intègrent des éléments de professionnalisation tels que quatre semaines de stages dans des classes et des modules de didactique, explique Sébastien Sihr, secrétaire général du Snuipp, syndicat du premier degré. D’autres naviguent entre 15 jours de stage d’observation et rien du tout… »

Selon une enquête du Snuipp, 84 % des stagiaires ont un temps de service dans une classe supérieur à 15 heures, 20 % sont affectés en ZEP ou dans des établissements difficiles, 18 % dans des classes à examens, 82 % ont plus de quatre classes en charge et 73 % auront eu moins d’une semaine, voire aucun jour, de formation avant la rentrée. Début novembre 2010, selon un rapport ministériel, 65 enseignants débutants en collège et lycée avaient démissionné ! Sans compter les nombreux arrêts maladie et deux cas de suicide, rappelle le Sgen-CFDT. « Année sombre ! », estime le Snuipp Paris, qui a mis en place un « cycle de formation pédagogique et syndicale » pour compenser le manque de formation.


Avant-après Avant la réforme du recrutement et de la formation des enseignants, devenir professeur exigeait un bac + 3 suivi de deux années en Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM). La première année préparait aux concours de l’enseignement (Capes, agreg…) et la deuxième année offrait aux stagiaires une formation d’ordre pratique indispensable pour devenir titulaire. Depuis la réforme de 2010, il faut un master (bac + 5) pour se présenter aux concours, soit cinq années d’études assurées par les universités, avec des stages en deuxième année. Une fois le master et le concours en poche, les lauréats sont nommés fonctionnaires stagiaires de l’enseignement public et ont sous leur responsabilité une ou plusieurs classes. Ce n’est qu’à l’issue de cette année de stage, ponctuée de périodes de formations n’excédant pas un tiers de leur temps (contre deux tiers auparavant)et très variables selon les académies, que les professeurs stagiaires sont titularisé, s’ils sont positivement évalués.
Si la réforme de la masterisation a augmenté le niveau de qualification à l’embauche (master contre licence), elle a diminué le temps de formation initiale. Les PES du premier degré ne sont plus qu’un tiers de leur temps en formation et deux tiers devant une classe, contre l’inverse avant la réforme. Ceux du second degré étaient deux jours par semaine en formation avant la réforme, ils sont maintenant en charge de classes à temps plein. Où est passé le temps de formation ?


Celui-ci, de surcroît, s’organise différemment suivant les académies. Certains PES vont bénéficier de formation en début d’année, d’autres en alternance ou au printemps, voire pas du tout. Car, pour partir en formation, ils doivent se faire remplacer dans les classes où ils enseignent. Or, le vivier de remplaçants ne suffit même pas à compenser les congés maternité et maladie. « On a vu des chefs d’établissement faire pression sur les stagiaires pour qu’ils ne partent pas en formation », glisse-t-on au Snes. « Même les étudiants qui ont effectué des stages en master 2 peuvent se trouver démunis s’ils ont suivi des CP et se retrouvent devant des CM2 ! », s’agace Sébastien Sihr.


Le contenu de formation a fondu. Les PES n’ont pas une connaissance suffisante des différents niveaux et ne possèdent pas assez de connaissances didactiques. La première année d’enseignement était une année d’apprentissage. « Désormais, ils ont double tâche : enseigner et apprendre. Ils passent beaucoup de temps à chercher des outils… » Être bon en français ne signifie pas savoir apprendre à lire à des élèves. Et dans le premier degré, les profs doivent être polyvalents, enseigner aussi bien la biologie que les arts visuels…


La génération issue de la masterisation ne peut pas espérer se rattraper avec la formation continue : les PES ne sont pas prioritaires et doivent se faire remplacer pour s’absenter. Et les crédits ont tellement baissé que seules subsistent les offres de formation obligatoires pour les directeurs d’établissement, maîtres formateurs et enseignants spécialisés. « Avant, on pouvait partir trois semaines pour apprendre comment monter un projet culturel… », regrette Sébastien Sihr, qui renvoie à l’enquête du Centre d’analyse stratégique sur « l’effet enseignant » paru le 12 juillet : « Les progrès des enfants dépendent de manière significative du talent et des compétences de leurs professeurs. »


Même les rapports Jolion et Grosperrin préconisent une remise à plat de la réforme. « Le sentiment de solitude est largement partagé », ajoute le Snuipp Paris dans son enquête Professeurs des écoles : une génération sacrifiée ?, publiée le 20 juin. Premiers obstacles cités : le manque de temps et le manque de confiance. « Où trouver les réponses aux questions qu’on se pose ? » s’inquiètent les PES de Paris, qui ont écrit à leur inspecteur d’académie : « Nous, professeurs des écoles stagiaires, déplorons les conditions de formation des débutants dans le service public d’éducation… » Ils réclament une entrée progressive dans le métier, sans la responsabilité d’une classe à temps complet dès la rentrée, une formation réaffirmant le lien entre professeurs d’IUFM (à l’université) et maîtres formateurs (dans les établissements), et un accompagnement concret dès le début de l’année.

Publié dans le dossier
Les jeunes profs au casse-pipe
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