Beverly Gage : « Le public alors était plus habitué à la mort »-ME.xml

L’universitaire américaine Beverly Gage revient sur l’attentat terroriste survenu en 1920 à Wall Street. Jamais élucidé, il n’avait entraîné aucune réaction sécuritaire particulière.

Alexis Buisson  • 8 septembre 2011 abonné·es

Le 16 septembre 1920, sur fond d’agitation anarchiste aux États-Unis, un carrosse piégé explosait devant la banque JP Morgan, en plein cœur de Wall Street. L’attentat, le plus sanglant aux États-Unis à l’époque, fait 38 morts et une centaine de blessés. Ses auteurs sont inconnus à ce jour. Beverly Gage, professeur associé à Yale, a écrit un livre sur cet épisode, Le jour où Wall Street a explosé. Elle compare les réactions en 1920 et celles liées au 11 Septembre.



Politis : Comment les New-Yorkais ont-ils réagi à cet attentat ?


Beverly Gage : Wall Street a voulu oublier. Pas de mémorial pour les victimes, pas de commémoration. Il fallait faire comme si la bombe n’avait jamais explosé, ne pas donner aux terroristes l’attention qu’ils recherchaient. La guerre avait pris fin deux ans plus tôt, le public était habitué à la mort. Quarante victimes, ça ne paraissait pas significatif. Mais, question sécurité, la Bourse a pris ses précautions. À l’intérieur du bâtiment, le plafond de verre de la salle de réunion a été retiré, l’accès des visiteurs restreint. 


La police n’a pas été déployée dans les lieux publics. À l’époque, les New-Yorkais étaient habitués aux explosions. En 1908, un attentat anarchiste avait eu lieu dans Union Square, en plein Manhattan. Il y avait régulièrement des explosions dans les immeubles mal entretenus. Les gens fabriquaient des bombes chez eux. Il n’y avait pas ce sentiment que la police devait surveiller les lieux publics.


Pourquoi ?


Le public comprenait que l’attentat de 1920 visait les financiers et les riches. Il n’y avait pas, comme aujourd’hui, la sensation qu’un drame pouvait arriver n’importe où, n’importe quand. Pour les observateurs, cet attentat s’inscrivait dans une confrontation de plus en plus évidente entre communisme et capitalisme, et on se demandait comment les États-Unis allaient faire pour répondre à cette situation.


En mai 1919, des explosifs ont été interceptés à New York dans une trentaine de colis (les expéditeurs n’avaient pas mis assez de timbres sur les paquets) et, en juin, des bombes ont explosé dans plusieurs villes, dans le bureau du procureur général à Washington, chez des juges et des hommes d’affaires à Detroit, à Cleveland et à Boston.


La réaction à ces attentats a été intense : raids de déportation contre les immigrés radicaux, les anarchistes italiens, les révolutionnaires russes. Ces raids étaient très controversés et, en septembre 1920, le public avait décidé que ces réponses exagérées avaient déjà été débattues, il ne voulait plus en entendre parler.

Ces événements de 1919 ont-ils déclenché des mesures sécuritaires ?


À l’époque, le public avait un rapport différent à la vie et la mort. Il y avait plus de maladies, et la guerre venait de se terminer. Les gens ne pensaient pas que les autorités pouvaient les protéger. Personne n’était en charge de répondre aux attaques terroristes.


Le NYPD [la police new-yorkaise] avait une « brigade rouge » pour les éléments radicaux et les grévistes, mais les forces de police n’étaient pas très professionnelles, et plutôt corrompues. Le gouvernement fédéral était faible et inapte. Le FBI était à ses débuts et n’a jamais résolu l’enquête sur l’attentat. C’est au sein des agences de détectives privés que se réglaient les questions de sécurité.

Propos recueillis par Alexis Buisson

Publié dans le dossier
11 septembre, le business de la peur
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