La peau du Président

Le réalisme, même farceur, ne lui convient pas : Jean-Michel Ribes rate René l’énervé, son opéra-bouffe politique.

Gilles Costaz  • 22 septembre 2011 abonné·es

C’est très bien de vouloir réinventer l’opéra politique. On en a besoin, surtout quand on a la possibilité de ne pas s’adresser à des privilégiés mais à un public largement populaire. Donc la création de René l’énervé, étiqueté par son auteur, Jean-Michel Ribes, « opéra-bouffe et tumultueux », pouvait être une bouffée d’oxygène et un acte hautement frondeur à l’intérieur d’un monde du spectacle plutôt assagi. Mais, bien qu’entouré d’une équipe d’acteurs-chanteurs de grande qualité, Ribes ne parvient pas à égaler ses modèles : Offenbach et toute la smala des chansonniers.


Soit un dénommé René , épicier élu président de la République, qui court comme un furet et se mêle de tout. Les ministres courtisans courent un peu moins vite que lui, mais ils courent aussi. Face à lui, renâcle une opposition nichée dans les partis, mais aussi dans la rue et les clans philosophiques. Attention à Ginette et Gauffrette (laquelle est Ségolène, laquelle Martine ? facile à trouver). Attention aussi aux Cons de la Nation, dont les apparitions bottées révèlent sans détour que l’auteur appelle ainsi les hardes du Front national.


Tout cela s’agite frénétiquement et déploie l’esthétique du bling-bling pour donner un tableau risible de la République sous René-Sarko. Ah ! Si celui-ci avait écouté le consciencieux René-Sarko 2, présent en scène, son double exemplaire !


Un chœur à l’antique, donc en toge, annonce et commente les événements. C’est l’élément le plus drôle de la partition. Au centre, l’interprète chargé du rôle de René, Thomas Morris, se lance dans l’aventure sans ressembler le moins du monde à son modèle : il le fait honorablement et athlétiquement. Mais, si son personnage n’est pas dans l’imitation méticuleuse, tout le récit suit l’actualité de très près, sans trouver la bonne distance et la bonne mutation. La musique de Reinhardt Wagner sait être entraînante, sur des couplets chevillés sur leurs rimes qui donnent le regret des « songs » de Brecht (aussi simplificateurs mais moins anecdotiques). Elle finit cependant par oppresser tant le climat est au matraquage, et non à la libre respiration.


Quelques moments vengeurs, bien entendu, fonctionnent. On aime à voir le sosie d’Hortefeux bête et odieux. Mais, pour qui connaît et place haut le théâtre de Jean-Michel Ribes, l’impression est que l’écrivain, ici, sort de ses rails, de son univers absurde aux personnages incertains, et s’épuise dans un tir à la carabine qui lui démet sans cesse l’épaule.


Ribes, c’est un grand auteur chez qui les êtres sont des fous hagards, des givrés embrumés, des parleurs dépassés par leurs mots. Quand il aborde de front la réalité, il casse sa nature d’alchimiste féroce et fait de la caricature à gros traits.


Voilà un incident qu’on oubliera mais que l’auteur avait déjà connu quand il avait transposé en riant l’épisode des survivants de l’avion abîmé dans les Andes, qui avaient mangé les cadavres des autres voyageurs. À l’époque, la Cuisse du steward n’avait fait rire personne.

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