Le programme au crible

Première formation à dévoiler son projet, le Front de gauche propose une ambitieuse stratégie contre la crise. Sont prévus: 35 heures, retraite à 60 ans, Smic à 1 700 euros, salaire maximum, logement locatif social… Deux économistes d’Europe Écologie-Les Verts analysent les points qui font débat.

Ingrid Merckx  et  Patrick Piro  et  Michel Soudais  et  Olivier Doubre  • 15 septembre 2011 abonné·es
Le programme au crible
© Photo : AFP / Huguen

Le titre du programme du Front de gauche, l’Humain d’abord, sonne comme un manifeste. « Il n’exprime pas simplement une préférence morale, il dit aussi notre stratégie contre la crise », proclame l’introduction. Et résume la volonté de cette alliance de rendre le pouvoir à ceux dont le travail constitue la « vraie richesse » du pays, et de « mettre le peuple en mouvement » pour « remporter la confrontation avec la finance ». Fin et moyen.
En 9 chapitres et quelque 96 pages, l’ouvrage rassemble l’essentiel des propositions que Jean-Luc Mélenchon et ses candidats aux législatives défendront dans les mois à venir. Des mesures immédiates et d’autres de plus long terme. Tour d’horizon.


Partager les richesses et abolir l’insécurité sociale. Sous ce chapitre, le Front de gauche entend rétablir les 35 heures et « le droit à la retraite à 60 ans à taux plein (75 % du salaire de référence) », porter le « Smic à 1 700 euros brut par mois », procéder à « une réévaluation globale des salaires et des traitements », instaurer un « salaire maximum » fixé à 20 fois le salaire de base « dans toutes les entreprises », « éradiquer la pauvreté » en relevant les minima sociaux de sorte qu’aucun revenu ne puisse « être fixé sous le seuil de pauvreté »


Contre la précarité, il veut limiter à « 5 % dans les grandes entreprises et 10 % dans les PME » les intérimaires et CDD, titulariser les « 800 000 précaires de la Fonction publique », interdire les licenciements boursiers, abroger « toutes les lois antisociales qui ont cassé le code du travail » et engager « sa refonte », créer « un statut social pour tous les jeunes permettant leur autonomie » avec la mise en place d’un « système d’allocations ».« Le logement locatif social sera reconnu comme le logement universel accessible à tous », annonce le texte qui envisage « 200 000 logements publics sociaux par an », et prône un encadrement des loyers afin que leur proportion « dans le budget familial n’excède pas 20 % ».

Autre engagement : le « remboursement intégral à 100 % des dépenses de santé couvertes par la Sécurité sociale », assorti d’ « une couverture nationale de santé égale sur tout le territoire », qui s’inscrit dans un vaste plan de préservation des services publics que le Front de gauche entend soustraire à « toute soumission à des intérêts privés comme aux marchés financiers ».


Pour « reprendre le pouvoir aux banques », plusieurs mesures : « création d’un pôle public financier », « placement sous contrôle social des banques privées qui ne respecteraient pas la nouvelle réglementation en matière de lutte contre la spéculation » de l’économie, « réforme de la fiscalité » d’ampleur, fin des exonérations de cotisations sociales patronales (30 milliards d’euros), taxation des revenus financiers des entreprises…


Au passage, les auteurs rejettent toute velléité d’imposer dans la Constitution une « règle d’or » et, à propos de la dette, envisagent un rachat de titres par la Banque centrale européenne. Ce qui suppose de « changer les traités européens ».

La planification écologique et produire autrement. Le programme prévoit la (re)constitution de « grands services publics » (énergie, eau), l’orientation des aides publiques en fonction de l’intérêt public et environnemental, un plan national de rénovation thermique des bâtiments… Autant de propositions marquées par l’hostilité du Front de gauche à un « capitalisme vert » qui s’en remettrait au marché pour résoudre l’hiatus entre les dérives économiques et la crise écologique.
D’où cette reprise en main des manettes par l’État, sous contrôle d’une démocratie citoyenne active qui guide l’ensemble des propositions de ces chapitres. La ­relocalisation de l’industrie, pour réduire son impact environnemental tout en créant des emplois, en est l’un des points forts. En revanche, on ne trouve pas d’ambition affichée sur la conversion écologique de secteurs générateurs de consommations excessives (aviation, automobile…), qui emploient de nombreux ouvriers.
Le paragraphe « énergie » fait la part belle à la réduction des consommations et au développement des énergies renouvelables. Mais l’épineuse question du nucléaire ne serait tranchée qu’à l’issue d’un référendum.


Pas non plus de « taxe CO2 » à l’horizon, sauf pour les transports générés par les délocalisations. Les mesures annoncées visent toutefois à favoriser les transports en commun moins polluants, y compris le ferroutage. L’agriculture est traitée comme l’industrie : il s’agit plus de la rendre compatible avec les contraintes environnementales que d’opter pour un système écologique (pratiques non polluantes, modes de cultures intégrés…).


Dans l’ensemble, le Front de gauche traite l’écologie comme une contrainte qui s’impose à l’économie et au social, avec la nécessité de rendre ces activités compatibles avec la lutte contre les gaz à effet de serre, le pillage des ressources… La préservation de la biodiversité, fondamentale, n’est pas explicitement évoquée ; la pêche et la conservation des espèces marines ne font l’objet que de deux lignes.

Libertés publiques, immigration, laïcité, droits des femmes. Le Front de gauche veut établir « la République pour de vrai » et affiche son volontarisme. Sur la laïcité, avec la « réaffirmation » de la loi de 1905, étendue à « tout le territoire national », donc en Alsace et en Moselle, et débarrassée de « toutes » ses modifications ultérieures, tout en refusant que la laïcité serve de « prétexte » pour mettre « à l’index » la religion musulmane, comme le fait le FN. Sur l’égalité hommes-femmes et la lutte contre les violences faites aux femmes, avec notamment la création d’un grand ministère « des droits des femmes et de l’égalité », l’adhésion à la clause de « l’Européenne la plus favorisée », qui alignerait les législations sur celles des États membres les plus progressistes. Attention toutefois aux effets pervers d’une grande « loi antisexiste » luttant contre la pornographie et la prostitution.


Volontarisme encore avec l’affirmation que « l’immigration n’est pas un problème » et les mesures qui en découlent : régularisation des sans-papiers, retour à la carte « unique » de résident de 10 ans, et abrogation des lois successives en la matière votées par la droite depuis 2002 (mais pourquoi ne pas réexaminer aussi celles du gouvernement Jospin qui n’ont pas toujours brillé par leur progressisme ?) Ou « l’intégration de toutes les polices dans un service public unifié ».

VIe République. Clé de la restauration d’ « une démocratie véritable » et condition des réformes, la réforme institutionnelle prônée passe par l’élection dès 2012 d’une Assemblée constituante en vue d’établir une nouvelle République, où « les pouvoirs exorbitants du président de la République » seraient « supprimés », la primauté de l’Assemblée nationale rétablie, le Sénat supprimé ou profondément réformé, la proportionnelle instaurée à toutes les élections, les droits économiques et sociaux étendus… Sera aussi facilité tout ce qui permet une implication populaire permanente (démocratie participative, référendum d’initiative populaire…). 


Éducation et recherche. Mot d’ordre : combattre la mise en concurrence des établissements qui vise, « sous couvert d’autonomie, à instituer un marché de l’éducation ». D’où l’abolition de la loi LRU sur l’autonomie des universités (2007) et le Pacte pour la recherche (2006), le rétablissement de tous les postes supprimés dans l’Éducation nationale (74 000 !). Et le retour à un système de prérecrutement des enseignants, mesure qui avait autrefois permis à des jeunes d’origine modeste de poursuivre des études.


En matière de formation des enseignants — drame de cette rentrée –, le texte se contente de soutenir « le développement de la formation initiale et continue ».

Parmi les mesures fortes, outre le doublement des budgets publics de la recherche et de l’enseignement professionnel, on note le « droit à la scolarité dès 2 ans » et l’extension de la « scolarité obligatoire de 3 à 18 ans », qui prend le contre-pied de l’apprentissage et de la professionnalisation précoce, générateurs d’une main-d’œuvre sous-qualifiée, sans perspective d’évolution et employable rapidement.


Reste à savoir quel type de scolarité il imagine pour tous les 14-18 ans.

Important puisque c’est à cette génération avant tout qu’un tel programme s’adresse…

Publié dans le dossier
L'offensive palestinienne
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