Le Sénat pourrait basculer

Bastion de la droite depuis 1958, la Haute Assemblée doit se renouveler dimanche. Élections très serrées, que la gauche espère remporter. Un changement de majorité aurait des répercussions sur la présidentielle.

Michel Soudais  • 22 septembre 2011 abonné·es
Le Sénat pourrait basculer
© Photo : AFP / s. Saget

La gauche plantera-t-elle dimanche son drapeau sur le palais du Luxembourg ? L’événement serait historique : le Sénat n’a pas connu d’alternance depuis 1958. Son mode de scrutin et son lent renouvellement — par tiers tous les trois ans jusqu’à ce dimanche — avaient été calculés par les rédacteurs de la constitution de la Ve République pour en faire un bastion de la droite. L’impensable est pourtant aujourd’hui à la portée de la gauche.

Longtemps très minoritaire sur les bancs sénatoriaux, la gauche n’était qu’à 19 sièges de la majorité dans l’assemblée sortante. Avec l’augmentation du nombre de sénateurs, combien doit-elle en conquérir pour l’emporter ? Au moins 23, selon le PS. Difficile mais pas hors de portée. Lors du renouvellement de septembre 2008, portant sur un tiers du Sénat, elle s’était adjugé 21 sièges. Depuis, la gauche, qui avait conquis de nombreuses villes importantes en mars 2008, a encore légèrement accru son poids parmi les 150 000 membres du corps électoral appelé aux urnes dimanche. Le PS dirige toutes les Régions sauf une et 60 % des départements. La gauche espère profiter du mécontentement des élus locaux, y compris de droite, confrontés à la réforme de la taxe professionnelle, l’effacement progressif des services de l’État et la mise en place au forceps de la carte de l’intercommunalité. Afin d’accroître ses chances, la gauche présente des listes d’union PS-EELV-PCF dans la quasi-totalité des départements renouvelables à la proportionnelle. D’où les sueurs froides de la droite.


Un basculement du Sénat serait, pour son président UMP, Gérard Larcher, un « séisme ». « Les conditions de préparation de l’élection présidentielle seraient singulièrement 
modifiées par un changement de majorité au Sénat. » Un Sénat de gauche « serait très dangereux, abonde l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, cela ne faciliterait pas les quelques mois qui restent ».

Pour tenter d’éviter ce scénario noir, les stratèges du parti présidentiel ont, accuse le PS, multiplié les « manœuvres ». Huit sénateurs sortants qui menaçaient de conduire des listes dissidentes ont ainsi opportunément été nommés au Conseil supérieur de l’audiovisuel, au Conseil supérieur de la magistrature, au Conseil économique social et environnemental, ou à la présidence de l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat… Le PS dénonce aussi l’utilisation par Gérard Larcher des fonds de sa « réserve parlementaire », une cagnotte de 3 millions d’euros, « pour aider la campagne sur le terrain de la majorité, y compris pour des candidats UMP qui ne sont pas sénateurs, comme dans les Hautes-Pyrénées ».

Ces efforts n’ont pas empêché la droite de partir à la bataille sénatoriale en ordre dispersé. C’est le cas en Île-de-France. À Paris, cette dispersion pourrait lui coûter un ou deux sièges, la liste UMP officielle emmenée par la ministre des Sports, Chantal Jouanno, est concurrencée par une liste UMP officieuse, conduite par Pierre Charon, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, et une liste Nouveau Centre conduite par Yves Pozzo di Borgo. Dans l’Essonne et les Hauts-de-Seine, cinq listes de droite se concurrencent. Dans le Val-d’Oise, l’UMP, incapable de trancher, a investi deux listes ! Même les Yvelines, département d’élection du président du Sénat, ne font pas exception : le maire et conseiller général divers-droite du Chesnay, Philippe Brillault, conduit une liste dissidente qu’il présente comme… « la seconde liste de Gérard Larcher », tandis que la sénatrice centriste Roselle Cros et le maire Nouveau Centre André Vanhollebeke en conduisent chacun une.


Cette multiplication des listes à droite n’empêche pas Gérard Larcher d’être serein et de prédire une courte victoire de la droite. Une prédiction étonnamment partagée par le président du groupe socialiste au Sénat : « On n’a jamais été aussi proches de la victoire, observait Jean-Pierre Bel, mardi sur France 2. Pourtant, l’alternance risque une fois de plus ne pas se produire, parce que nous sommes dans un combat inégal. »

Dans ce contexte, estime-t-il, un gain de 10 à 15 sénateurs serait « déjà une victoire ». Si le Sénat ne passe pas à gauche, « il y aura un problème de légitimité », juge-t-il. « Nous ferons la démonstration qu’il y a une assemblée qui jamais, en toutes circonstances  […]  ne peut connaître l’alternance ».

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