Syrie : « C’est tout un pays qui se bat »

Salamah Kaileh, intellectuel syrien d’origine palestinienne, explique pourquoi les tentatives de division communautaire du pouvoir ont échoué.

Martine Hassoun  • 8 septembre 2011 abonné·es

Politis : Plus de 2 200 morts et des milliers d’arrestations, mais les Syriens continuent de réclamer le départ de Bachar el-Assad. Comment expliquer cette détermination ?


Salamah Kaileh | Nous n’avons plus rien à perdre. Le peuple syrien a besoin de liberté, et que des mesures économiques et sociales soient prises pour résoudre les problèmes dans lesquels il se débat. Le régime doit tomber, et des réponses doivent être apportées à tous ceux qui, jeunes et moins jeunes, habitants des villes ou des zones rurales, migrants de l’intérieur ou fonctionnaires marginalisés, ne trouvent plus leur place dans une société qui ne profite qu’à quelques-uns. Un tiers des Syriens sont au chômage. La privatisation de l’éducation et de la santé a exclu des pans entiers de la population d’un accès aux services fondamentaux.

À son arrivée au pouvoir, en 2000, Bachar el-Assad avait promis que l’ouverture économique assurerait le développement du pays. Rien de tel ne s’est produit. Un temps, le pouvoir a pu espérer circonscrire le soulèvement aux zones rurales ; les premières manifestations qui se sont déroulées à Deraa à la mi-mars traduisaient la situation catastrophique qu’affrontent ses habitants, frappés de plein fouet par l’ouverture des marchés, la chute des prix du coton et des céréales… Il a été forcé de déchanter. Aujourd’hui, c’est tout un pays qui se bat.

Il n’y a pas de division communautaire, sur laquelle le pouvoir semblait miser…


Absolument. Le régime a essayé de confessionnaliser le mouvement, allant jusqu’à avancer la menace salafiste. Dans un premier temps, ce discours a pris, mais il a été battu en brèche par l’élargissement de l’insurrection à toute la population.
Tout récemment, à Homs, les autorités religieuses alaouites ont vivement réagi, lorsque, après la découverte des corps de trois hommes de leur communauté, le pouvoir a désigné les sunnites comme responsables. Elles ont exigé du gouvernement qu’il prenne ses responsabilités. Les morts dont il s’agissait, ont-elles martelé, n’étaient pas victimes de violences communautaires mais de la répression.

Quel rôle joue l’opposition dans le mouvement ? Les manifestants s’appuient-ils sur des organisations ?


Après quarante ans de dictature, l’opposition est extrêmement faible. C’est à la base que le mouvement s’organise. La situation est difficile, la répression féroce. Mais des coordinations ont émergé partout dans le pays, un mouvement laïc aussi, déterminé à aller jusqu’au bout.


Le régime syrien bénéficie-t-il du soutien de l’armée ? L’Iran participe-t-il à la répression ?


Aucun élément ne prouve que l’Iran participe aux forces de répression. L’Iran regarde avec attention ce qui se passe chez son allié syrien et préfère prendre ses distances avec le régime plutôt que de devoir subir des changements qu’il ne pourrait maîtriser.


Concernant l’armée syrienne, on ne peut la comparer à ses homologues tunisienne et égyptienne. Si c’est aussi une armée de conscription, sa hiérarchie est, comme en Libye ou au Yémen, sous le contrôle étroit des services de sécurité. Il existe en Syrie des liens structurels entre l’armée et le régime qui ne laissent pas d’autonomie aux militaires. Mais je suis optimiste. À la base, les soldats, qui sont des gens du peuple, supportent extrêmement mal le travail qu’on leur fait faire. Et l’impossibilité pour les forces armées de mater les manifestations pourrait générer des divisions en leur sein.


Quels soutiens resterait-il à Bachar el-Assad ?


Le clan Assad s’appuie sur la bourgeoisie sunnite ou alaouite, qui a toujours existé en Syrie, et celle constituée par les hommes d’affaires qui ont profité des privatisations entamées à l’arrivée de Bachar el-Assad. Ce soutien se maintiendra-t-il si la situation n’est plus propice aux affaires ? L’attitude de la Turquie sera décisive. C’est le premier pays investisseur en Syrie. Elle est très attentive à l’évolution du régime pour l’avenir du Proche-Orient…


Avez-vous tissé des liens avec les autres révolutions arabes ?


Les jeunes, oui. Ils ont pris des contacts en Égypte, en Tunisie et ailleurs. Le régime est dans une impasse, il ne tiendra pas. Ce qui me semble important aujourd’hui est que la diaspora syrienne ne se substitue pas à la dissidence de l’intérieur. Nous devons travailler ensemble, mais ceux qui se battent sur le terrain doivent jouer un rôle essentiel.

Monde
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