« Bref », ça dépote !

Politis  • 27 octobre 2011 abonné·es

On se souvient de « La Minute nécessaire de monsieur Cyclopède », racontée, décomptée par Pierre Desproges. On était alors en 1982. Auparavant, avaient sévi « Les Shadocks » de Jacques Rouxel, entre 1968 et 1973, trublionnade absurde déployée par Claude Piéplu.

Deux programmes courts qui ont marqué la télévision (et les esprits). D’autres ont suivi, avec plus ou moins d’intérêt (plutôt moins que plus), et avec plus ou moins de succès. Tels « Un gars, une fille » ou « Caméra cachée ». Des programmes de deux à cinq minutes diffusés avant ou après le 20 heures, autour du prime time (certes, sous l’ère des Shadocks, l’expression « prime time » n’existait pas).

Deux nouveaux programmes ont fait leur apparition ces dernières semaines. « Après 20 heures, c’est Canteloup », sur TF1 ; et « Bref » dans la seconde partie du « Grand Journal », sur Canal +.

Le premier a débarqué à grand renfort d’autopromo le 10 octobre sur TF1. Annonces à gogo sur la chaîne, intrusion au JT de Claire Chazal, entretien de Canteloup dans celui de Laurence Ferrari. Cinq minutes de direct qui cherchent à rebondir sur l’actualité. Côté plateau, un bureau ovale, des tonalités bleues (couleurs de l’UMP, hasard des couleurs sans doute), la tour Eiffel illuminée en fond d’écran. Face à Canteloup, Nikos Aliagas, jouant le rôle de faire-valoir, en vrai-faux présentateur de JT, passe-plat (du vrai JT en somme !) ouvrant sur « l’évènement du jour ».

Et Canteloup [^2] d’enchaîner le doublage d’images, les imitations. Hollande remerciant « Weight Watchers et Slim Fast » , Royal déclarant qu’ « Allah est grand et François est gros » , tandis qu’il est temps pour Carla « de catapulter le gnocchi » . Du lourd et du très épais. L’esprit potache prout prout, sans l’esprit. Voilà Collaro balayé, en Paul Claudel de la subtilité.

Difficile de faire plus putassier, difficile de faire idéologiquement plus orienté, autour d’un public qui se prête (ou se force) à rire devant une mascarade à l’intelligence d’un bulot neurasthénique. Mais devait-on s’attendre à autre chose sur TF1 ?

À l’opposé, s’inscrit le second programme court de cette rentrée du PAF. Baptisé « Bref » et jouissant d’une réelle écriture. L’enjeu : raconter des bribes de vie en trois minutes, suivant un seul et même personnage, véritable anti-héros. « C’est l’histoire d’un mec   », disait l’autre. Un récit ciselé au cordeau, dynamique, découpé de plans «  brefs  » justement, rapprochés. Saccadé qu’on dit.

Dans ce bref toutim passent la société de consommation, la relation amoureuse, la séparation, le mariage, une biture, l’homosexualité, le divorce des parents, l’improbable exercice d’enfiler une couette dans sa housse. Des anecdotes anodines, des épisodes essentiels de l’existence réduits à la taille d’un acrostiche. Des idées simples pour une figure de style. Mais le plus dur étant de faire simple…

De faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux, pour une équipe de jeunes trentenaires découverts par Christelle Graillot (à la tête d’une structure interne à Canal, précisément appelée « Repérages »), emmenée par Kyan Khojandi et Bruno Muschio.

À Canal, on reconnaît que la chaîne n’avait jamais vécu pareil enthousiasme. Côté public, on compte 2 millions de téléspectateurs et, accélérant le phénomène, plus d’un million de fans sur Facebook. Même cet autre phénomène qu’est devenu Yann Barthès avait attendu quelques mois pour s’installer avec le succès qu’on lui connaît. Sans doute parce que « Bref » imprime un rythme pleinement ancré dans la modernité. Propice à l’identification. La bande de trentenaires s’était osée à proposer un pilote à Canal au printemps dernier. Cet été, elle signait pour 40 épisodes. Elle prépare maintenant une nouvelle salve. Bref, c’est pas fini.

[^2]: Nicolas Canteloup était une voix historique des Guignols sur Canal. Sa collaboration à TF1 a mis fin au contrat qui le liait à la chaîne cryptée. On appelle ça une incompatibilité.

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