Des images contre le déni d’État

Deux films racontent
ce qui s’est vraiment passé le 17 octobre 1961, il y a un demi-siècle.

Christophe Kantcheff  • 20 octobre 2011 abonné·es

Au lendemain de la manifestation du 17 octobre 1961, Jacques Panijel, biologiste, et cofondateur en 1959 du Comité Maurice-Audin (jeune communiste et militant de la cause anticolonialiste, mort sous la torture en juin 1957), propose l’idée d’un film pour raconter ce qui s’est réellement passé. Aucun des cinéastes de renom à qui il s’adresse ne relevant la proposition, il se charge lui-même de le réaliser, et entame le tournage dès la fin du mois d’octobre.

Contre le déni de l’État et la propagande officielle, et tandis que la guerre d’Algérie se prolonge, Jacques Panijel multiplie les pièces à conviction. Ainsi, Octobre à Paris est avant tout un film de témoignages d’Algériens qui ont subi la répression des forces de police dites républicaines de Maurice Papon. Celle qui eut lieu ce jour-là – coups, actes de torture, noyades… –, mais aussi les violences endurées depuis des années, ce qui souligne le contexte du bain de sang du 17 octobre, barbarie extrême mais non isolée.
Panijel a donc filmé des Algériens racontant les sévices subis, la plupart portant encore les stigmates sur leur corps, mais comment montrer les faits ? Pour la manifestation elle-même, le cinéaste a utilisé des photographies, dont les plus célèbres, d’Elie Kagan.

Quant aux réunions préparatoires et au départ des manifestants du bidonville de Nanterre vers Paris, qui devaient ne porter aucune arme sur eux – une fouille initiale étant même imposée –, il s’agit, forcément, d’une reconstitution. Octobre à Paris pose ainsi la question de la nature des images du film, dont aucune, même celles à proprement parler « factices », ne vient démentir ce qui est dit dans le carton d’ouverture : « Les personnages, les lieux, les faits sont tous vrais. »

Encore aujourd’hui, Octobre à Paris garde sa force intacte parce que mû par la nécessité morale de percer le mur du silence et du mensonge. Tout en ne tombant jamais dans la dénonciation aveugle. Le film fait ainsi la part des choses entre l’État français criminel et les citoyens français, dont certains se sont rangés aux côtés des Algériens. Réactif aux événements, il s’achève sur une évocation de la manifestation du 8 février 1962 et de la tragédie du métro Charonne. Octobre à Paris fut interdit jusqu’en 1973, date à laquelle le cinéaste René Vautier, grâce à une grève de la faim, obtint la levée de la censure.

Ici on noie les Algériens , de Yasmina Adi, jeune femme née bien après le 17 octobre 1961, est comme l’écho, cinquante ans plus tard, du film de Jacques Panijel. Ce qui n’a pas changé : l’État français n’a toujours pas reconnu le massacre (ni, d’ailleurs, le recours systématique de la torture par l’armée). Ici on noie les Algériens est donc, lui aussi, un film en lutte. La cinéaste a également choisi de rester sur le récit des faits par les protagonistes, en privilégiant la parole des femmes, dont on sait moins que nombre d’entre elles ont manifesté au lendemain du 17 octobre pour exiger le retour de leurs maris, dont elles étaient sans nouvelles.

En mêlant témoignages, mais aussi articles de journaux, reportages radio et messages des renseignements généraux de l’époque, le film reconstitue précisément ce qui s’est passé le 17 octobre, soulignant les responsabilités de tout le gouvernement, le ministre de l’Intérieur, Roger Frey, en tête.
Ici on noie les Algériens porte en lui la mélancolie d’une souffrance toujours vive malgré le temps qui a passé, et qui ne s’épuisera jamais : « Il m’a laissée, j’avais 25 ans, souffle une veuve comme se parlant à elle-même. Avec quatre enfants. Je sais qu’il est là dans l’eau. Je sais ce que la Faucheuse a fait […]. Ô Seigneur, sois avec moi… »

Cinéma
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