Italie : l’eau n’est plus à vendre

À la suite de deux référendums, toute privatisation et tout profit sur la distribution d’eau sont interdits. Retour sur cette mobilisation victorieuse.

Olivier Doubre  • 6 octobre 2011 abonné·es

Alberto Lucarelli relate le processus, entre 2002 et 2011, qui a permis d’élaborer en Italie le concept de « bien commun » pour les ressources naturelles telles que l’eau.

D’où vous est venue l’idée d’un double référendum populaire empêchant la privatisation et la possibilité de faire des profits sur l’eau ?

Alberto Lucarelli : Ce projet est né de conflits sociaux locaux à partir de 2002-2003. À Naples et dans d’autres grandes villes italiennes, des processus de privatisation de l’eau étaient en cours. Les gens ont commencé à comprendre que ces privatisations n’avaient pour but que de faire des profits : augmentation des factures, diminution des investissements, mesures irrationnelles en termes de gestion des ressources hydrauliques et détérioration des conditions de travail dans le secteur.

Une mobilisation a commencé contre la municipalité de Naples, alors de centre-gauche [très modérée, NDLR], qui prévoyait d’attribuer l’eau à une société mixte (51% publique, 49% privée), la partie privée devant assumer la gestion. L’argument était que ça serait plus efficace, et que cette mesure était imposée par les règlements communautaires de l’Union européenne, ce qui est faux.

En tant que juriste, j’étudiais depuis longtemps cette question des services publics locaux, je me suis alors rapproché des mouvements engagés contre ces mesures. Il s’est rapidement dessiné une alliance entre les mouvements sociaux et un univers plus institutionnel, avec des professeurs d’université, des économistes…

Est née alors une grande force populaire qui a remporté une première victoire en 2005, quand la municipalité de Naples est revenue sur sa décision. La mobilisation s’est étendue, à tel point qu’en 2007 nous avons élaboré un « projet législatif populaire participatif » sur le financement public et la gestion de l’eau. Cette procédure est permise par la Constitution italienne à condition de recueillir 50 000 signatures. Nous en avions recueilli plus de 500 000 !

C’est donc à partir de là que vous avez initié la bataille référendaire…

Nous avons d’abord porté ce projet à la Chambre des députés, mais il est resté au fond d’un tiroir. Parallèlement, le gouvernement Prodi, de centre-gauche, a mis en place une Commission « Rodotà [[Stefano Rodotà est un célèbre professeur
de droit public.]] », dont j’ai fait partie, chargée de réfléchir à des modifications en matière de droit de la propriété publique. Elle a alors élaboré la notion juridique de « bien commun » pour des ressources naturelles comme l’eau, mais aussi pour certaines ressources matérielles entendues comme appartenant à la collectivité.

Cela permet de sortir de l’hypocrisie d’une propriété publique avec gestion ou concession privée. On passe donc d’une res in commercio à une res extra commercio [objet hors commerce]. Mais dès son retour au pouvoir, en juin 2008, le gouvernement Berlusconi fait adopter un décret-loi sur la privatisation des services publics locaux, qui comprend l’eau.

C’est de là qu’est partie l’idée d’utiliser la procédure du référendum d’initiative populaire prévue par la Constitution, qui ne peut porter que sur l’abrogation d’un texte de loi [[En France, le référendum d’initiative populaire a été inscrit dans la Constitution
en 2008 mais est en réalité inapplicable.]]. Avec une équipe de juristes, nous avons rédigé cette initiative en vue d’abroger les mesures permettant la privatisation et la possibilité de faire des profits sur l’eau [soit deux référendums]. Les mouvements organisés sur tout le territoire se sont mis à recueillir les signatures qui, selon la Constitution, doivent être au minimum 500 000. Nous en avons recueilli plus d’un million ! Puis la mobilisation ­populaire massive a permis de remporter la bataille référendaire des 12 et 13 juin. Nous sommes sortis de la logique de commercialisation de l’eau.

Avez-vous pu mettre ce résultat en application ?

Oui. Il fallait aller vite. Nous venons de voter à Naples la transformation de la société anonyme municipale qui gérait le réseau de l’eau de la ville en une régie nommée « Eau bien commun ». Doivent y siéger des représentants de la mairie mais aussi des salariés de la régie, et des associations et mouvements de la société civile. En outre, un comité de surveillance doit veiller au droit à un minimum garanti de distribution d’eau pour les plus défavorisés.

Enfin, nous allons promouvoir des actions de solidarité internationale pour garantir le droit à l’eau potable dans les pays en voie de développement. Nous avons en tout cas réussi au cours des cent premiers jours de notre municipalité [où la gauche de la gauche est majoritaire] à mettre en application les référendums.

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