Le chrysanthème, belle fleur aux multiples visages

Chronique « jardins » du week-end. Fleur du deuil dans l’Hexagone, le chrysanthème est synonyme de fête et de joie dans d’autres contrées.

Claude-Marie Vadrot  • 29 octobre 2011
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Le chrysanthème, belle fleur aux multiples visages
© Photo : http://jardinoscopeprat.canalblog.com/

Dommage que la France s’obstine à enterrer le chrysanthème dans les cimetières. Cette fleur des jours courts mérite mieux : la faute à Poincaré, président de la République, qui ordonna à l’automne 1919 que toutes les tombes de France, à commencer par celles des victimes de la Grande guerre, soient fleuries. Seul le chrysanthème était disponible, ce qui en fit une plante industrielle marquée par une tristesse qu’elle ne mérite pas. Ailleurs, cette fleur reste synonyme d’éternité, de joie, de plaisir car elle est la dernière qui illumine l’automne.

Les Chinois et les Japonais se disputent depuis des centaines d’années la découverte et la glorification du chrysanthème. Leurs « amis » Coréens expliquent eux que cette fleur d’automne, à mettre en terre maintenant pour en profiter jusqu’en décembre, est en fait originaire du « Pays du matin calme », et qu’elle leur fut dérobée. Nous ne trancherons pas, tout en remarquant qu’au Ve siècle, époque où le poète chinois Tao Ming décidait de renoncer à la littérature pour se consacrer à la culture du chrysanthème, sa fleur, le kiku, était aussi la référence botanique préférée de la « Confédération des royaumes » de l’archipel nippon. Elle reste aujourd’hui l’emblème de l’Empire et elle orne la plupart des temples japonais shintoïste. Et l’on ne mettra pas les plaideurs d’accord en faisant remarquer qu’aux premiers siècles de notre ère, les Chinois et leur culture influençaient très fortement le Japon. Les principaux conseillers du Mikado étaient d’ailleurs des Chinois. Léger avantage, donc, aux Fils du Ciel.

Les Chinois fêtent toujours le chrysanthème le neuvième jour du neuvième mois de l’année, à l’occasion de la célébration de l’automne qui est aussi celle de la longévité. Ce qui permet de rappeler que l’une des espèces de chrysanthème, Chrysanthemum indicum , sert aux Chinois à préparer un élixir « de longue vie ». Au Pays du soleil levant, c’est le Chrysanthemum coronarium que les Japonais cultivent dans leurs jardins pour le manger avec les sushis. D’autres espèces servent à décorer la pièce où un salarié partant à la retraite est fêté par ses collègues et, toujours au Japon, la traditionnelle fête (joyeuse) de l’automne, le Kiku Matsuri : l’occasion de confectionner des poupées géantes couvertes de chrysanthèmes. Les deux pays se disputent toujours la célébration de cette fleur, leurs historiens cherchant sans fin à prouver qu’ils sont les authentiques « inventeurs » du chrysanthème.

Cette fleur est en Chine comme au Japon le symbole de la longévité, de la noblesse, du renoncement aux biens matériels et de l’immortalité. Nul ne songe à la planter dans les cimetières.  En Europe, son nom n’a pas conservé les origines asiatiques puisque le naturaliste suédois Linné, au XVIIIe siècle, la nomma sans l’avoir vue en accolant les mots chrysos (l’or) et anthemos (la fleur), sachant simplement que les Japonais la nommait la fleur jaune. Parce que les premiers chrysanthèmes sauvages, bien diversifiés depuis dans leurs formes et leurs coloris, étaient de cette couleur.

Les premières boutures parvinrent en France en 1789 en pleine Révolution. Elles venaient du Japon, par le port de Nagasaki qui était alors le seul ouvert aux Occidentaux, grâce à un capitaine de navire, Pierre Blancard, féru de botanique. À peine son bateau accosté, il fit parvenir, en dépit des temps troubles, ses boutures à André Thouin, le chef-jardinier du Jardin des plantes. Tout en assistant aux réunions révolutionnaires où il était député du Tiers état, celui-ci s’occupa des boutures, multiplia les chrysanthèmes et commença à les croiser pour inventer de nouvelles variétés.

La fleur fit son petit bonhomme de chemin dans la société française et dans ses jardins. Les variétés se multiplièrent grâce à d’autres boutures parvenues en Grande-Bretagne et aux Pays Bas, mais les Français, contrairement aux Chinois et aux Japonais, ne firent jamais une consommation importante de thé au chrysanthème, boisson réputée calmante toujours en usage chez les Chinois. Quand ils ne les mangent pas, comme les Japonais. Puis, fleur belle mais banale, le chrysanthème aux variétés de plus en plus nombreuses devint une plante chic et courtisée au début du XXe siècle, dans cette période que l’on appelle la Belle Epoque parce que l’art japonais fit fureur. C’est pour cela qu’en levant la tête, on aperçoit parfois des chrysanthèmes stylisés sur des immeubles parisiens construits à cette époque dans un style post-hausmanien ou art nouveau..

Ces chrysanthèmes, c’est le moment de les installer au balcon, sur la terrasse ou au jardin, en prenant soin de les planter au soleil tout en les faisant bénéficier de quelques heures d’ombre au cours de la journée. Attention cependant à ne pas trop les arroser. Ces précautions prises, ils donnent des fleurs splendides pendant des années. Ils ne méritaient pas de devenir cet ersatz décoratif dont les industriels de la plante vendent 30 millions de pots chaque année après les avoir nourris d’engrais et de retardateurs hormonaux pour qu’ils fleurissent pour la Toussaint. Et si l’on ajoute que c’est avec la fleur séchée et broyée d’un chrysanthème blanc à cœur jaune, le Chrysanthème de Dalmatie, que l’on fabrique un excellent insecticide naturel qui épargne les abeilles et les coccinelles, le Pyrèthre, nous aurons peut-être mérité l’une des décorations les plus prisées du Japon, l’Ordre du Chrysanthème…

Écologie
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