« L’Exercice de l’État » et « Les Marches du pouvoir » : Quand la politique disparaît

Les Marches du pouvoir,
de George Clooney, et l’Exercice de l’État, de Pierre Schœller
mettent en scène un candidat aux primaires et un ministre.

Christophe Kantcheff  • 27 octobre 2011 abonné·es

Hasard du calendrier, deux films de fiction dont la politique est le sujet sortent sur les écrans cette semaine. Le moins que l’on puisse dire est qu’ils résonnent fort avec l’actualité. L’un est américain, signé George Clooney, connu pour son glamour et son engagement démocrate : les Marches du pouvoir , qui se penche sur la campagne aux primaires d’un gouverneur de l’Ohio. L’autre, français (avec une coproduction belge des frères Dardenne), est l’œuvre de Pierre Schœller, qui, après l’histoire d’un marginal dans Versailles , suit le parcours d’un ministre dans l’Exercice de l’État.

Rapprocher ces deux films n’est pas seulement affaire de circonstances. Ils offrent deux représentations différentes de la politique. Différentes, mais pas contradictoires. Celle que montre Clooney esquissant ce que pourrait être le futur (proche) de la politique à la française, telle que la donne à voir Schœller.

Au tout début des Marches du pouvoir , un élégant jeune homme, Stephen (Ryan Gosling), s’avance sur une scène, commence un discours. Et s’interrompt par ces mots : « Finalement, ne votez pas. » Même si le plan s’élargit pour que le spectateur comprenne qu’il s’agit-là d’une répétition – le jeune homme est le conseiller en communication du gouverneur Morris (George Clooney) –, ces paroles annoncent quelques mauvaises bricoles.

Le gouverneur a pourtant tout pour vaincre : du charme, de la répartie, un bon directeur de campagne (Philip Seymour Hoffman), une famille unie, un concurrent à sa portée… Le film s’attarde moins sur son programme. À peine entend-on une ou deux de ses propositions, dont celle qui consiste à abandonner le pétrole comme source d’énergie pour couper court aux terroristes ! Ces propositions sont farfelues, car elles n’ont en fait aucune importance. Si l’histoire bascule, c’est à cause de ce que découvre Stephen : une jolie stagiaire du staff de campagne, avec laquelle il a une relation, est enceinte du gouverneur Morris. Elle doit avorter.

Les Marches du pouvoir prend dès lors une tournure de thriller, au demeurant fort bien mené car sec et précis, où la morale individuelle est omniprésente. Jusque-là porté par l’aura de son mentor, l’idéaliste Stephen tombe dans les affres de la vengeance et du cynisme. Un bras de fer s’engage entre le jeune homme et le gouverneur, sur fond de menace de chantage et de révélations de scandale sexuel, qui annihileraient toutes les chances du candidat.

Le ministre des Transports, Bertrand Saint-Jean (Olivier Gourmet), est, lui, dans l’action, comme le suggère le titre du film de Pierre Schœller, l’Exercice de l’État . On fait connaissance avec lui quand il est arraché de son lit en pleine nuit à cause d’un grave accident de car dans les Ardennes. Il doit s’y rendre rapidement. Voiture, hélicoptère… Les images sont montées serrées. Pas de doute, Bertrand Saint-Jean est un fonceur, Olivier Gourmet offrant à ce personnage tout son coffre et son volume, rehaussé par le contraste que présente face à lui son chef de cabinet, Gilles, posé, statique et… beaucoup plus petit (Michel Blanc). Les deux comédiens sont ici magistraux.

Documenté, pertinent, l’Exercice de l’État cerne une bête politique dans son quotidien. C’est une course effrénée « en temps réel » pour communiquer efficacement (le film fait intervenir visuellement les nouveaux flux d’informations qui passent par les smartphones) ; une réactivité à toute épreuve, d’où la nécessité d’un cabinet performant, qui alimente le ministre en idées et en mémos ; une guéguerre permanente avec les autres ministères pour décrocher les arbitrages favorables ; un sens aigu de la stratégie…

Mais cette débauche d’énergie, cette tension qui s’apparente à une véritable libido, pour quelle vision politique, au service de quelles convictions ? Autrement dit : pour quoi faire ? Cette question est au cœur du film.

Un des personnages, qui a décidé de passer dans le privé, reconnaît que les politiques ont encore du pouvoir, mais plus de puissance. Qu’il soit de droite ou de gauche – la précision n’est jamais apportée parce qu’elle est anecdotique –, le gouvernement auquel appartient Bertrand Saint-Jean agit exclusivement sous la pression de la dette et des marchés.

Les convictions politiques ne sont donc plus de mise. « Je ne serai pas le ministre de la privatisation des gares » , déclare gaillardement Saint-Jean à qui veut l’entendre, jusqu’à ce qu’il doive plier, sinon, il est remercié du gouvernement. Mieux que cela : cette réforme va devenir « sa » réforme. Le ministre des Transports n’est pourtant pas un cynique. Il veut simplement réussir dans son métier. Ce qui l’éloigne de ceux qui restent fidèles à des principes ou à des idées, comme son chef de cabinet, haut fonctionnaire « vieille école », qui se repasse pour le plaisir le discours de Malraux lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon. D’où aussi, et surtout, le divorce profond de la majorité du personnel politique avec le peuple, incarné par le drame qui atteint le chauffeur de Saint-Jean, un chômeur de longue durée (Sylvain Deblé), qui avait été recruté par le ministère pour un stage de quatre semaines.

De l’Exercice de l’État , où l’illusion du poids des idées en politique est dissipée, aux Marches du pouvoir, où le programme politique d’un candidat est indifférent, il n’y a qu’un pas. Et l’affaire DSK est là pour montrer que la crédibilité d’un candidat peut bientôt se jouer en France, comme aux États-Unis, sur des questions de morale privée. Le cinéma, lui aussi, ne peut que constater la dissolution de la politique dans nos sociétés occidentales.

Cinéma
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