« Pour une fois, on vote pour celui qu’on aime ! »

Pauline Graulle  et  Jeanne Portal  • 13 octobre 2011 abonné·es

Ça ne désemplit pas. Il est plus de midi et, depuis 10 heures ce matin, le bureau de vote du quartier Alexandre-Dumas, installé dans une école du très à gauche XIe arrondissement de Paris, bruisse de monde. Un organisateur à chemise rouge s’échine : « Entrez, entrez ! Merci d’avoir bravé la pluie ! Venez par ici que je vous explique la procédure ! » En aparté, il s’étonne d’avoir enregistré « plus de cent votes en seulement deux heures » .

Martine et Évelyne, la soixantaine, la première juriste, la seconde infirmière, sortent de l’isoloir, ravies. Toutes deux se sont passionnées pour les débats télévisés « de très haute volée » entre les six candidats. Elles ont choisi Martine Aubry « parce qu’elle s’est positionnée sur le nucléaire et que c’est une femme » , dit Évelyne. « Et qu’elle incarne les grandes valeurs de la gauche , ajoute Martine. Même si François Hollande est aussi un monsieur très bien… » François, gestionnaire comptable de 49 ans, plutôt d’obédience « hollandaise », a décidé de voter stratégique. En l’occurrence, Arnaud Montebourg : « Un débat surprise entre Hollande et Montebourg forcerait Hollande à bouger un peu, ce ne serait pas plus mal… »

Jean-Louis a lui aussi glissé dans l’urne son bulletin pour Montebourg – ainsi qu’une petite pièce en plus de l’euro symbolique requis. Objectif du jour, « gauchir » le PS avec ce candidat « découvert lors des débats » . Et aussi, pourquoi pas, « faire la nique à Sarko »  : « Il sera vert de rage si la participation est importante » , sourit cet orthophoniste qui compte de toute façon donner sa voix au Front de gauche en 2012.

Voter pour un socialiste aux primaires et pour un autre à la présidentielle ? Beaucoup des participants au scrutin n’excluent pas cette possibilité. Comme Caroline, 29 ans, qui avait voté pour François Bayrou – puis pour Ségolène Royal – en 2007, et qui erre dans les rues du XVIIIe arrondissement faute d’avoir trouvé son bureau de vote sur le site Internet du PS, rendu inaccessible par l’affluence des internautes : « Si Aubry n’est pas désignée candidate du PS, explique-t-elle, je pense me rabattre sur Mélenchon ou Villepin. Quelqu’un qui a les épaules pour faire bouger les lignes. » « Moi, je voterai pour Eva Joly , ajoute Marion, sa copine avocate, également “aubryste”. Mais pas pour Hollande. Pas pour ce PS-là » .

Détour par Montpellier. Dans cette ville qui fut, du temps de Georges Frêche, le théâtre de relations tumultueuses avec la rue de Solferino, on n’est, là non plus, pas prêt à suivre la ligne du parti comme de bons petits soldats. Marc, ingénieur venu voter dans son bureau du centre-ville, quartier du Boutonnet : « Si j’ai voté pour Montebourg, c’est purement stratégique, pas par conviction, assure le quinquagénaire, qui voue un amour presque sans faille au parti écolo. Il est clair que je ne voterai pas socialiste au premier tour de l’élection présidentielle. »

Julie, institutrice de 43 ans, se montre plus pragmatique : « Je suis allée voter car mon objectif est de préparer le terrain du second tour de la présidentielle. Je suis un peu fataliste, je crois qu’on devra malheureusement s’accommoder d’un duel PS-UMP. Alors autant choisir le moins pire des candidats, Martine Aubry en ce qui me concerne. Je voterai Front de gauche au premier tour. Mon unique vote de conviction. »

À Montpellier, l’emballement médiatique n’est pas du goût de tout le monde. Jean-Pierre déplore ce système participatif ultra­médiatique et « pense que c’est un formidable coup de pub pour le Parti socialiste. Malheureusement, cela a peut-être tendance à renforcer le présidentialisme de la Ve République. En toute logique, c’est le programme qui devrait importer, et non la personnalité politique » .
« Cela m’a déplu qu’on nationalise le débat , avoue Éléonore, artiste peintre de 28 ans, qui est quand même venue voter. Derrière toute cette médiatisation, il y a une certaine démagogie et, sans se l’avouer, on tend vers un bipartisme à l’américaine. »

Retour à Paris, cette fois dans un quartier chic. Nous sommes à l’école communale de l’avenue de La Motte-Piquet, VIIe arrondissement. En terre de mission. Ségolène Royal n’avait recueilli dans ce quartier très résidentiel de la capitale que 25,25 % des suffrages au second tour de la présidentielle de 2007. Il est midi et demi et, surprise, il y a du monde ! Ce n’est pas tout à fait l’église du Gros-Caillou à l’heure de la sortie de la messe, mais tout de même. Le préposé à l’entrée est là depuis l’ouverture du bureau : « Tout de suite, ça a commencé très fort, et depuis, ça n’arrête pas. »  

À l’intérieur, deux files qui correspondent à deux bureaux de vote. On s’adresse des regards complices de confrérie secrète. « Je suis un vieil électeur socialiste » , confesse cet homme de cinquant ans qui s’empare de deux bulletins Valls et Hollande.Il trouve que cette primaire est « une aubaine pour la démocratie » . Le suivant, plus âgé, prend ostensiblement deux bulletins Baylet et Valls. Faut-il y voir un sens politique ?

Deuxième incursion en fin de journée. La participation n’a pas faibli. Une électrice grippe le système : elle n’a pas l’euro réglementaire pour voter. Son billet de vingt ne fera pas l’affaire car « on ne rend pas la monnaie et on n’a pas le droit d’ouvrir la boîte… » Heureusement, une dame se dévoue pour donner la pièce manquante. La gauche du VIIe a le sens de la solidarité…
Et celle du XIe, l’enthousiasme communicatif. « On est consultés, c’est un privilège formidable ! » , se réjouit Martine, l’électrice du quartier Alexandre-Dumas. Thierry, commercial de 31 ans venu voter pour « le favori » (sic) :  « Cette élection intéresse même des gens qui ne sont pas politisés d’habitude. » Par quel miracle ? « Parce que, pour une fois, on ne vote pas par défaut. C’est l’exercice démocratique par excellence » , avance Caroline, qui rappelle le « traumatisme » de sa première élection présidentielle : avoir été contrainte de voter Chirac contre Le Pen.

Les citoyens lambda redevenus, au moins pour un moment, les acteurs de l’offre politique… « Et ne serait-ce que pour influencer un tout petit peu la couleur du gouvernement à venir » , ose Caroline, qui veut croire qu’une gauche vraiment de gauche est encore possible. Marion : « Aujourd’hui, on a fait ce qu’on ne pouvait plus faire : voter pour un candidat qu’on aime vraiment. » Retour aux vieilles habitudes dès dimanche prochain.

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