Sganarelle en noir

Claude Buchvald
révèle la face cachée des pièces mineures
de Molière.

Gilles Costaz  • 20 octobre 2011 abonné·es

Molière n’a pas écrit une saga autour de son personnage de Sganarelle, comme Jarry l’a fait avec Ubu. Mais reconstituer la trajectoire du héros, ou plutôt de l’anti-héros, peut être un exercice intéressant.

C’est ce que fait Claude Buchvald, qui, sans suivre l’ordre chronologique de création, fait se ­succéder dans la même soirée l’ Amour médecin, le Mariage forcé et la Jalousie du barbouillé . C’est ainsi qu’on suit les mésaventures d’un pauvre type qui n’est pas encore le fort en gueule du valet de Dom Juan .

Le voilà berné une première fois par sa propre fille, qui contracte avec son amoureux un vrai mariage en le faisant passer pour faux. Puis c’est à son tour de se vouloir marié, puis d’accepter malgré lui des coups et la ­condition d’homme enchaîné et cocu. Enfin, il épouse une femme d’une condition supérieure et ne connaît que des déboires.

Prises une par une, ces pièces semblent de pures farces où l’on rit comme à Guignol. Additionnées, elles composent le chemin de croix d’un homme toujours humilié, toujours bafoué – et l’interprétation saisissante, hagarde, désespérée de Sganarelle par Claude Merlin n’est pas pour rien dans cette impression.

Claude Buchvald ne croit pas que le comique soit un genre innocent. Elle qui a mis en scène Rabelais, Claudel, Novarina n’en reste jamais au premier degré de la facétie, bien qu’elle adore les gags, les lazzis et les effets de surprise.

Elle favorise la tragédie interne. Elle a décalé l’action dans le temps, poussant les personnages dans une iconographie chaplinesque et dans un monde corse ou italianisant où règne la cruauté des mafias.

Les femmes (Sté­phanie Schwartz­brod, Céline Vacher, Cécile Duval, Aurélia Poirier) ont une sensualité d’intrigantes de film noir, quand elles ne sont pas de pures projections de fantasmes. Les hommes (Laurent Claret, Benjamin Abitan, Mouss Zouheyri, Régis Kermorvant) sont des truands aux allures d’épouvantails. De quoi dérouter les tenants du classicisme mais enchanter les partisans des éclairages neufs, même s’ils sont, comme ici, noirs comme la nuit.

Théâtre
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