Tout le monde emmerde tout le monde…

Hervé Bompard-Eidelman  • 13 octobre 2011 abonné·es

Finalement, quel est le problème de fond en France ? Le problème des problèmes, celui qui crée tous les blocages, toutes les emmerdes, tous les ras-le-bol-à-la-fin, qui fait dire aux dirigeants politiques que c’est un pays impossible à réformer ? Qui fait de nous des planqués, des privilégiés, des sans-scrupule, des grincheux, des réacs, des intolérants, des fatigués, des carpettes face au pouvoir, des craintifs genre coin de rideau qui se lève, des à plat-ventre devant les puissants, les Importants et les riches, bref des râleurs, mais juste au bistrot, car devant les infos de TF 1, le soir, on avale tout droit la propagande gouvernementale, sauf les très riches, qui paient de moins en moins d’impôts et gagnent de plus en plus en dormant. Et vous, vous payez, ennemis du peuple grec, pendant que le Caca rente fait +9,5 % de profits au premier semestre 2011 ! La meilleure performance depuis des années sur le dos des États et donc sur le vôtre, rigolos. Quand on voit l’énergie que dépensent Énervé 1er et son Premier ministre, Saint-François d’Assis-couché devant les riches, suivis par une collection de serpillières du pouvoir, on se dit que, finalement, tous ces pauvres, ils commencent à faire chier grave. Mais comme ils sont crédules et encore en train de se demander s’ils ne vont pas revoter Zébulon II, parce que finalement, la sodomie fiscale et salariale, c’est dur mais c’est bon, on est loin d’en être sortis.

En fait, c’est ça le vrai problème de la France : tout le monde fait chier tout le monde. Prenons quelques exemples, et vous verrez, lecteurs déjà convaincus, pas cons, mais encore trop crédules pour oser croire dans un avenir révolutionnaire, que c’est vrai, et même pour ceux que vous aimez encore. Les banques : elles commencent à nous emmerder, mais on y reste. Les socialistes : font tous chier, mais on va voter aux primaires, pour choisir entre la gauche de droite, la gauche du centre et le PS-canal historique. Les supermarchés : ça nous emmerde, y a trop de monde. Mais pourquoi on n’y va pas quand y a personne ? Passqu’on aime ça, ­finalement, comme le Cap-d’Agde ou Royan au mois d’août. L’enseignement : font chier, ces étudiants. Si on les fait payer, y en aura moins, comme ça, on sera entre nous. Les élèves : c’est eux le problème, sans eux, pas de soucis pour les profs ni pour le ministre. Au boulot à partir de 8 ans ! Et tous ces malades, ces souffreteux qui encombrent les hôpitaux et creusent le trou de la Sécurité sociale, ils nous emmerdent, franchement. Sans eux, l’hôpital irait bien, Nom de D… de B… de M… !

Comme les salaires : moins de feignants au boulot, c’est des plus gros salaires pour ceux qui restent. Alors, dehors, les pue-la-sueur, allez mendigoter dans le métro. Là aussi, ils font chier tous ceux qui prennent le métro en même temps que nous. Sans eux, le billet coûterait moins cher, c’est sûr. Et à La Poste, à la Sécu : pas d’usagers, plus de problèmes, plus de files d’attente, plus de grincheux, de mémés qui savent pas se servir des machines, qui ralentissent, hésitent, bavotent. Comme sur les routes ou dans le train, qu’est-ce qu’ils viennent nous emmerder tous ces cons ? Le pire, c’est le téléphone dans les administrations, tapez 1, tapez 2, tapez 3 pour revenir au menu, c’est sur ta gueule que je vais taper, oui, à force, les planqués derrière le robot. Fait chier.

Les magasins, Pôle emploi, les cités : font chier, tous chier. Et les Gens du voyage – comme dirait le petit Nicolas à Claude Néant, pardon, Guéant : « T’as pas du Rom ? Ça me remonterait la cote de popularité, un peu de Roms. » Ils nous emmerdent aussi, faut dire, ces Gens qui viennent jusque dans nos bars égorger nos poules et boire notre Ricard. Même les ­journalistes. Enfin, certains, pas tous. Mais quand même, pourquoi y sont pas tous comme la Ferrari ? Avec la Ferrari, l’info, ça roule pas, ça glisse, comme un pet dans le slip pendant une conférence.

Et j’allais oublier les mouches à fiente, les faux artistes qui squattent vos spectacles, vos télés, vos radios, les chiffons à poussière du monde artistique, les machines à pondre et à jouer rejouer de la merde au kilomètre qu’on appelle les z’intermittents du spectacle. Ils nous emmerdent, ces larves, c’est eux qui le rendent intermittent, le spectacle, qui se faufilent partout comme des blattes, alors que les politiciens font ce qu’ils peuvent, les pauvres. Mais eux, ils font quoi ? Du gras sur votre redevance, ils jouent les tiroirs-caisses à subventions en se répandant comme de l’huile de vidange nauséabonde dans les médias pour nous vendre leur soupe que même un bagnard de Cayenne te la jetterait à la gueule, tellement ça pue.

Et les prisons surpeuplées ? Ils nous emmerdent vraiment, parce que tu crois pas qu’ils le font pas un peu exprès d’y aller pour être logés-nourris gratis et regarder la télé toute la journée ? Sans déconner, soyez francs, on est combien à rêver de faire ça toute la journée, plutôt que d’aller au chagrin ? Sans tous ces pauvres, ces modestes, ces sans-importance, ces emmerdeurs, ces encombrants, on serait entre nous, les heureux, les progressistes, les zintellectuels, les planqués, et nous, on demande rien, surtout pas qu’on s’intéresse à nous. Finalement, c’est peut-être ça, l’avenir du libéralisme : Tout le monde se fout de tout le monde, ma gueule d’abord et faites-moi pas chier. Dédé, remets-nous ça dès qu’ils auront fini d’emmerder le monde, ces clients à la con qui font chier les habitués. Comme dirait Alévêque : arrêtez, ça m’excite !

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