Un dirigeant « omni-absent »

Cameroun. Président depuis 29 ans, Paul Biya sollicitait dimanche un nouveau mandat acquis d’avance. Entretien avec Manuel Domergue.

Denis Sieffert  • 13 octobre 2011 abonné·es

Quelle est la situation économique et sociale au Cameroun ?

Manuel Domergue : La croissance y est la plus faible de toute la sous-région, les inégalités criantes, et le pays peine à sortir de l’économie de rente, basée sur l’exportation de matières premières (pétrole, gaz, bois, minerais, huile de palme, sucre, cacao, café…), sous la coupe de grandes entreprises étrangères, en particulier françaises, qui se partagent les profits avec les élites locales.

L’immense majorité de la population survit à peine, avec une espérance de vie de 52 ans tandis qu’une minorité s’enrichit sans créer le moindre dynamisme économique. Le Cameroun est à la fois une poudrière sociale et un éteignoir de toute contestation. L’absence totale de perspectives économiques rend le pouvoir extrêmement impopulaire. Mais cette stagnation est son meilleur atout : ce dictateur « omni-absent » a fait de la discrétion et de la stabilité ses meilleurs arguments. La corruption qui mine la société empêche la constitution d’une classe d’entrepreneurs et de salariés indépendants.

Le pays a des institutions et une apparence de démocratie. Pourquoi sont-elles vides de tout contenu ?

Il ne faut pas oublier le poids du passé d’un parti unique quasi totalitaire pendant vingt ans, après la violence de la colonisation et de la guerre d’indépendance. Dans un tel contexte, une Constitution d’apparence démocratique ne suffit pas à instaurer une démocratie réelle, si la même classe politique reste au pouvoir. Les Camerounais ont tenté par deux fois de renverser cette domination. Dans les années 1950, le mouvement indépendantiste de l’Union des populations du Cameroun a été noyé dans le sang : il a obtenu l’indépendance, certes, mais sous contrôle de la France et sans un gramme de liberté. En 1990-1992, « les années de braise » ont fait vaciller le pouvoir, mais il a conservé son emprise par la fraude électorale et la répression. Ces échecs ont fait le lit d’un fatalisme généralisé.
Pour cette élection, une instance apparemment neutre pour organiser le scrutin a été mise en place, mais elle a d’emblée été trustée par les membres du parti au pouvoir.

Le régime repose-t-il sur la violence ?

La répression violente n’est pas le quotidien de la vie politique camerounaise, mais elle en constitue l’horizon inéluctable dès que le pouvoir est en danger. Les 140 jeunes manifestants désarmés tués en trois jours par l’armée lors des émeutes de février 2008 sonnent comme un avertissement très clair. De plus, l’élection à un seul tour nécessiterait une véritable structuration de l’opposition, ce dont elle s’est montrée incapable, divisée entre 22 candidats différents.

La France joue-t-elle encore un rôle dans le maintien de Paul Biya ?
La France a placé au pouvoir Ahmadou Ahidjo en 1958, qui a placé au pouvoir Paul Biya en 1982. Elle leur a offert pendant cinquante ans des forces de l’ordre formées et financées par Paris et une caution diplomatique permanente pour sauver les apparences. Au cours du règne de Biya, à chaque fois que des puissances comme les États-Unis ou l’Allemagne émettaient le moindre doute sur la légitimité de son pouvoir, il trouvait des soutiens auprès de la France. Le régime profite aussi de la complaisance des élites françaises : les entreprises (Bolloré, Vilgrain, Total…), les médias qui acceptent des publireportages scandaleux ou les communicants qui vantent les vertus du « sphinx de Yaoundé » en échange de contrats avantageux. Paul Biya réussirait-il à garder le pouvoir sans le soutien de Paris ? Peut-être. Mais sans Paris, il n’y aurait jamais accédé.

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