À contre-courant / La force des peuples

Dominique Plihon  • 10 novembre 2011 abonné·es

La force des peuples
La crise économique qui secoue nos sociétés depuis 2007 vient de passer un nouveau cap : elle s’est muée en crise politique avec la montée en puissance de la résistance populaire face aux politiques antisociales menées par les gouvernements. Le mouvement des Indignés, qui a démarré en Espagne, Occupy Wall Street aux États-Unis, et Occupons La Défense en France sont des formes nouvelles de mobilisation d’une grande importance politique. D’abord parce que, en affirmant « nous sommes 99 % », ils pointent l’exigence de démocratie face à l’oligarchie politico-financière symbolisée par la troïka FMI-Commission européenne-BCE, qui veut imposer ses politiques néolibérales aux peuples européens. Ensuite, parce que ces mouvements sont d’un grand réalisme politique en portant la contestation sur les lieux où réside le pouvoir des responsables de la crise : la puerta del Sol, la place Syntagma, Wall Street, La Défense, Nice… Enfin, parce que ces mouvements n’ont pas de frontières, ils essaiment d’un continent à l’autre, prenant leur source dans les mouvements sociaux qui ont porté le Printemps arabe. Cette nouvelle forme d’internationalisme vient renforcer le mouvement altermondialiste dans sa lutte contre la mondialisation néolibérale.

La crise politique qui frappe la Grèce, et menace plusieurs pays européens où les dirigeants sont affaiblis (Italie, Espagne, Allemagne, France), résulte d’un fossé croissant entre les peuples et leurs gouvernements. Si le Premier ministre grec a été acculé à proposer un référendum, vite retiré sous la pression du tandem Merkozy, c’est qu’il a perdu sa légitimité en acceptant les décisions iniques imposées par la troïka. La grande majorité du peuple, ainsi que des forces politiques et sociales, réprouve les différents accords négociés ces derniers mois à Bruxelles. Si les peuples européens pouvaient s’exprimer par les urnes, ils rejetteraient les politiques d’austérité et d’ajustement décidées dans l’intérêt des créanciers. Ils manifesteraient aussi leur opposition à la manière dont l’Union européenne est gouvernée contre eux, ainsi qu’ils l’ont déjà fait en France en 2005 et en Irlande en 2008.

Deux pays – l’Argentine et l’Islande – ont montré que seules de fortes mobilisations populaires parviennent à mettre en échec les politiques néolibérales et peuvent conduire à des politiques alternatives de sortie de crise. Il y a dix ans en Argentine, la rébellion populaire a bloqué le programme d’ajustement et les politiques d’austérité imposés par le FMI, et obtenu la chute du gouvernement avec le mot d’ordre « Que se vayan todos ! » [^2]. Le nouveau gouvernement a augmenté les salaires et les dépenses sociales, abandonné la dollarisation et annulé une partie de la dette. L’économie argentine a connu un remarquable rebond, accompagné de progrès sociaux.

Quant au peuple islandais, il s’est mobilisé pour imposer deux référendums, en 2010 et en 2011, et refuser les accords négociés par le gouvernement, jugés trop favorables aux créanciers internationaux. Libérée du fardeau de la dette, qui s’élevait à 550 % de son PIB en 2008, l’économie islandaise est aujourd’hui sortie de la récession et connaît une diminution du chômage. La leçon des expériences argentine et islandaise est claire : les mobilisations populaires seront un élément clé de la sortie de crise en Europe.

[^2]:  « Qu’ils s’en aillent tous ! »

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