La triste comédie de la dette

Denis Sieffert  • 10 novembre 2011 abonné·es
La triste comédie de la dette

Commençons par l’inessentiel, le marginal, le dérisoire, même. Parmi les mesures d’économie présentées lundi par François Fillon, figure le gel des salaires du président de la République et des ministres. Pas d’indexation en 2012 sur la hausse des prix… C’est un petit 1 % qui fera défaut sur la fiche de paye présidentielle à la fin de l’année. Nombreux sont les experts qui ont parlé d’une mesure symbolique. Mais symbolique de quoi ? D’une juste répartition des sacrifices, jusqu’au sommet de l’État ? Ou de l’imposture de l’ensemble de ce plan de « désendettement » ? La réponse à cette question réside dans ce simple rappel : l’une des premières mesures prises par Nicolas Sarkozy à son arrivée à l’Élysée fut d’augmenter son salaire de 172 %… pour le porter de 7 000 à 19 000 euros. Oui, symbolique, car on pourrait étendre la méthode à tout le dispositif. Faire et défaire.

L’autre symbole réside sûrement dans cette TVA des restaurateurs ramenée à 5,5 % il y a deux ans, et portée à 7 % aujourd’hui. Sans parler, bien sûr, de la mesure la plus rémunératrice pour les caisses de l’État : le gel des barèmes de l’impôt sur le revenu, qui, dans la dissimulation, et par une mécanique subtile, correspond à une hausse importante des prélèvements. Reniement de toute la « philosophie » sarkozyenne. Au passage, notons que ce n’est pas la hausse des impôts qui nous choque, mais les catégories qu’elle vise, et surtout, celles qu’elle « oublie ». La rente est, si l’on ose dire, toujours soigneusement épargnée.

Le tandem Sarkozy-Fillon aura donc fait tout et son contraire. Mais avec des lignes de force qui vont toujours dans le sens d’une politique de classe éhontée. La justification à ces volte-face, réelles ou illusoires, est toute trouvée : la crise. La dette. Comme le disait jadis Edgar Faure, adepte de l’autodérision, « ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent… » Ainsi donc, en 2007, la France ne connaissait pas l’endettement qui semble l’accabler quatre ans plus tard. Qui peut le croire ? Nous sommes là au cœur de l’imposture, comme le souligne un peu plus loin Laurent Mauduit [^2]. Car de deux choses l’une : ou bien on considère la dette publique à l’échelle de l’histoire, et le moins que l’on puisse dire, c’est que le phénomène n’est pas nouveau. Les médiévistes situent son apparition au règne de Saint-Louis… Et la France a connu des périodes d’endettement beaucoup plus graves que celle que nous vivons aujourd’hui. En 1944, la dette représentait 290 % du PIB, contre 84,5 % actuellement. Et l’on comprend mal dans ces conditions la soudaine dramatisation du discours politique. Soit on considère une période plus brève, et on observe dans ce cas que la dette est passée, de 1995 à 2011, de 663 milliards d’euros à 1 646 milliards. Et qu’elle a crû singulièrement au cours des années Sarkozy comme résultat des énormes cadeaux fiscaux consentis aux plus riches.

Or voilà que, soudain, il n’y a rien de plus urgent que de rembourser cette dette. Lundi, François Fillon prononce dix-huit fois le mot « effort » dans son adresse au peuple. On parle, non sans ridicule, d’un discours « churchillien ». Rappelons tout de même que lorsque le Premier ministre britannique promettait « du sang, de la sueur et des larmes » , nous étions le 13 mai 1940. La perspective était de longs mois sous les bombes allemandes. L’ennemi, c’était le nazisme, pas la dette. Et moins encore une dette résultant en grande partie de la politique de ceux-là mêmes qui présentent aujourd’hui comme impérieux son remboursement.

Si l’on veut voir les choses froidement, la fameuse dette n’aura servi, en moins de vingt ans, qu’à un nouveau transfert de richesses dans la société française, et dans l’Europe tout entière. Elle aura servi d’alibi à la destruction d’un certain nombre d’acquis sociaux. L’exemple le plus frappant est évidemment, chez nous, celui de la réforme des retraites encore aggravée par le plan Fillon. En Grèce, elle aura servi à privatiser un grand nombre de services publics. Les dettes se sont amoncelées en raison d’une politique de cadeaux fiscaux aux plus riches, et on la rembourse en se tournant vers le peuple dans un discours grossièrement culpabilisateur. La dette n’est-elle pas, au fond, que le dernier avatar de la lutte des classes ? Facteur aggravant : pendant que l’on creusait nos déficits par une politique inégalitaire, on se privait, au niveau institutionnel et communautaire, des armes nécessaire pour les combattre.

Les voix ne manquent pas pour demander que nos États puissent emprunter directement à la Banque centrale européenne. Mais l’interdit est absolu. On préfère enrichir les banques privées, qui non seulement nous imposent des taux prohibitifs, mais prennent ainsi le pouvoir au niveau européen. D’ailleurs, le récent G20 ressemblait à un théâtre d’ombres. L’avidité frénétique de Nicolas Sarkozy à paraître, l’agitation besogneuse d’Angela Merkel, les proéminences de menton kadhafiennes du fantoche Berlusconi, la décontraction un rien cynique de Barack Obama, les revirements pathétiques de Papandréou délivraient comme un message d’impuissance collective. Le pouvoir était en coulisse. Pour sauver les apparences, nos dirigeants doivent montrer leur soumission aux marchés. Ceux qui s’y refusent ou s’en montrent incapables, Papandréou ou Berlusconi, vont rapidement au démaquillage.

[^2]: Nous inaugurons cette semaine notre partenariat avec nos amis de Mediapart en accueillant une excellente analyse signée Laurent Mauduit.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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