« Masques & Nez » : Pied de nez à la réalité

Gens ordinaires ou bouffons ? À bas
les idées arrêtées !

Anaïs Heluin  • 10 novembre 2011 abonné·es

Tels des écoliers le jour de la rentrée des classes, quatre personnes assises sur des chaises en bois se présentent. De leurs récits successifs se dégagent des types : une vieille fille coincée, un ancien champion du monde de boxe mal dégrossi, un fleuriste benêt et un vendeur de cosmétiques efféminé…
Tout un beau monde prêt à se livrer à une mise en abyme des plus subtiles et farfelues. Car c’est pour le cours de théâtre d’Igor que sont venus ces quatre concentrés de banalité, bientôt rejoints par un cinquième, animateur de supermarché et recordman de challenges loufoques.

D’emblée, la fragilité de cette création collective intitulée Masques & Nez apparaît. Mais là où beaucoup seraient tombés dans la vulgarité, la compagnie les Sans Cou parvient à viser juste. Et fait surgir un rire profond, comme celui que les bons clowns savent déchaîner. Ne sont-ils pas d’ailleurs autant clowns que personnages, ces énergumènes qui s’agitent sur scène ?
Le nez rouge porté par certains l’atteste. À en croire le masque porté par les autres et les attitudes exagérées des comédiens, ils sont aussi bouffons de commedia dell’arte.

Mais ces accessoires, ces emprunts à des codes théâtraux bien identifiés n’entrent guère dans la construction des figures populaires que paraissent incarner les acteurs. Au contraire, ils viennent brouiller les rôles et les identités. Car les deux types de prothèses utilisés ne sont jamais désignés comme tels, et ne semblent alors pas faire partie du cours d’Igor. Sont-ce les acteurs de commedia dell’arte qui jouent au petit peuple d’aujourd’hui ou le contraire ?

De cette ambiguïté naît une ouverture précieuse pour le public. Réflexion sur la représentation théâtrale, sur la société contemporaine et la création de stéréotypes : autant de voies possibles, qu’il ne tient qu’à chacun d’explorer.
Chaque soirée est unique. Composée de quinze comédiens, la troupe assure un roulement qui va de pair avec une constante improvisation. Touchants ou ridicules, enchaînant des numéros variés qui vont de la lecture d’un poème de Victor Hugo à une libre adaptation du film le Grand Bleu , les cinq élèves réalisent une mosaïque de genres souvent très éloignés les uns des autres.
Loin de se contenter de faire voler en éclats toutes les étiquettes, ils créent une poésie de l’hétérogène bien à eux. Pour dire, sans doute, la perte de repères de l’homme du XXIe siècle, mais avec un bel optimisme.

Théâtre
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