Tranchées dans le vif

La guerre de 14 sous le scalpel de Marc Dugowson : la haine comme drogue et idéologie.

Gilles Costaz  • 17 novembre 2011 abonné·es

La guerre de 1914-1918, le théâtre l’a souvent abordée d’une manière quelque peu documentaire, en faisant connaître les lettres des combattants et de leur famille, ou en dénonçant les mensonges tranquilles que pouvaient porter les chansons d’époque. « Poilus » et « tourlourous » ont défilé dans un manège de scènes, désolées ou satiriques.

La nouvelle pièce de Marc Dugowson, Dans le vif , relève plutôt du scalpel, de la lame tranchant dans ce que l’histoire aime dissimuler. Elle frappe, fouaille, pour que le spectacle et le spectateur ne soient pas en repos. On avait déjà vu l’auteur à l’œuvre dans sa très belle pièce Un siècle d’industrie , où il mettait en pleine lumière la bonne conscience des industriels allemands travaillant pour les camps de concentration. Cette fois, ce sont les Français qui sont sous la loupe. Et ils ne valent pas mieux !

Un jeune paysan breton est enrôlé dans l’armée en 1915. Il est assez content de quitter un entourage où la mesquinerie le dispute au machisme. Le voilà guerroyant. Là, l’horreur est autant dans les têtes que dans la vie du combattant. La pire idéologie, nationaliste, antisémite, raciste, devient l’alcool familier de tous les jeunes gens. L’adversaire est considéré comme un sous-homme à qui on attribue les pires infirmités physiques et mentales. Notre engagé trouve tout à fait normal qu’on fasse souffrir, jusqu’à la torture les Allemands blessés avant de les achever.

Les officiers font passer les comportements sadiques pour de ­l’héroïsme. La folie de la haine tournoie, même dans l’infirmerie où la recrue, blessée à son tour, va se retrouver, avant de finir comme un être amputé de son sexe et de sa capacité de penser.

Dans un espace de Stephan Grögler qui unifie habilement une série de lieux, le metteur en scène Paul Golub atteint avec justesse le ton d’historien clinique qui est celui de Dugowson. Gauthier Baillot interprète le rôle principal avec la force rare d’un acteur toujours intérieur, même dans l’explosion. Il est entouré d’excellents partenaires comme Christian Bouillette et Sébastien Bravard. On regrette seulement que l’auteur prolonge son récit par des péripéties peu utiles après la violence de son foudroyant tableau d’une boucherie mentale.

Culture
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