À contre-courant / La nausée

Thomas Coutrot  • 15 décembre 2011 abonné·es

Les récentes déclarations de Nicolas Sarkozy ( « Frauder, que dis-je, voler la Sécurité sociale, c’est trahir la confiance de tous les Français » ) et de Claude Guéant (qui veut s’attaquer à la « fraude spécifique » des étrangers, les retraites des chibanis, ces vieux ouvriers algériens qui « font des allers et retours entre la France et leur pays d’origine » ) donnent envie de vomir. Cette droite aux abois renoue avec la rhétorique la plus abjecte des années 1930, la recherche du bouc émissaire. Alors que l’Europe s’enfonce irrémédiablement dans une crise sans issue sous les coups de boutoir de la spéculation financière, et que les gouvernants s’apprêtent à démolir les protections sociales construites depuis 1945 par des politiques d’hyperaustérité, une lutte idéologique décisive s’engage. D’un côté, l’histoire racontée est celle d’un continent assoupi dans son confort douillet, grevé par des protections sociales ruineuses et des rigidités obsolètes, croulant sous le poids de l’assistanat et de la fraude sociale. Face à la concurrence des pays émergents et à la pression légitime des prêteurs qui exigent qu’on leur rembourse les dettes par la rigueur budgétaire, il n’y a pas d’autre solution qu’une cure d’amaigrissement draconienne afin d’adapter le modèle social européen à la mondialisation.

Le mouvement social doit opposer à cette fable un récit alternatif : celui d’une Europe faite par et pour la finance, construite sur les sables mouvants de l’hyperconcurrence et de la libre spéculation, qui encourage le dumping social, fiscal et écologique, tant entre pays de l’Union qu’avec l’extérieur. Une Europe livrée par les traités au bon gré des banques, des fonds spéculatifs et des fonds de pension. Une Europe prédatrice, qui surexploite les ressources non renouvelables des pays africains et les travailleurs sans-papiers.

Dans cette guerre idéologique, la stigmatisation des « assistés » constitue une arme de choix pour le Front national et l’UMP. Un sondage du think tank de l’UMP, la Fondation pour l’innovation politique (sic), montre que 80 % des Français jugent « qu’il y a trop d’assistanat et que beaucoup de personnes abusent des aides sociales » . Face à cette manipulation grossière, la riposte consiste d’abord à démontrer que la fraude sociale des allocataires, estimée par la Cour des comptes à environ 3 milliards d’euros par an, ne pèse rien face à la fraude fiscale des entreprises et des ménages aisés, qui s’élève, quant à elle, à 45 milliards d’euros. Mais, surtout, à rappeler que, si les études et contrôles sur la fraude sociale montrent qu’environ 1 % des allocataires du RSA ou des allocations familiales ont « arrangé » leur déclaration de situation, d’autres études sur le « non-recours » montrent qu’en même temps 15 % des personnes qui remplissent les conditions pour bénéficier de la CMU et 30 % des personnes qui remplissent les conditions pour bénéficier du RSA ne demandent pas l’ouverture de leurs droits. Cette proportion de « non-recours » atteint même 70 % pour le « RSA activité », cette prestation qui vient en complément d’un très bas salaire.

Autrement dit, sous la pression du dénigrement réactionnaire des solidarités, il y a infiniment plus de gens qui, honteux, refusent « l’assistanat » que de gens qui en abusent ! Et le silence assourdissant de François Hollande face à l’obscénité de cette offensive sur la fraude sociale laisse mal augurer, comme sur d’autres sujets, de sa capacité à opposer une vision alternative à celle de Nicolas Sarkozy.

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