L’arnaque européenne…

Denis Sieffert  • 15 décembre 2011 abonné·es

Alors comme ça, nous aurions depuis une semaine « une autre Europe »  ! C’est du moins ce que l’on retiendra essentiellement de l’interview de Nicolas Sarkozy dans le Monde de lundi. Chaviré sans doute par cette proclamation tonitruante, je suis allé puiser dans nos archives – ce qu’il ne faut jamais faire si on veut garder le moral – pour en extraire un exemplaire de Politis du 17 septembre 1992. Nous étions trois jours avant le référendum sur le fameux traité de Maastricht. Dans son éditorial, Bernard Langlois invitait nos lecteurs à voter « non à Maastricht » en raison de « l’abandon de notre souveraineté financière (…) à un directoire de banquiers nommés, inamovibles (…) et dont les décisions s’imposent aux États-membres ». « Si ce n’est pas là la réinvention du Conseil des Régents d’un nouveau Saint-Empire, reconnaissez que cela y ressemble fort ! » , concluait-il. Allusion forte, bien sûr, à la création de la Banque centrale européenne, « indépendante » certes, mais à l’égard des peuples et de la démocratie. Comme il y a de la bonne dette, il y a de la mauvaise indépendance… Pour ma part, dans le même numéro, j’imaginais « le oui de rêve » que l’on aurait pu accorder à un traité qui aurait inscrit « l’obligation de réduire le chômage au nombre des critères de convergence » . Vingt ans plus tard, les choses ont-elles changé ? A-t-on renoncé au pouvoir hégémonique et incontrôlable de cette BCE ? A-t-on introduit dans cette nouvelle Europe ne serait-ce qu’une once de préoccupation sociale ? Non, évidemment.

À Bruxelles, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel n’ont rien fait d’autre que d’aggraver le traité de Maastricht. Celui-ci prévoyait déjà des sanctions pour les États de l’Union européenne qui ne rempliraient pas les critères permettant la création de la monnaie unique (déficit budgétaire inférieur à 3 % du produit intérieur brut, endettement public n’excédant pas 60 % du même PIB). Jeudi dernier, on a imposé à l’Europe la fameuse « règle d’or », c’est-à-dire l’inscription des critères de Maastricht dans nos constitutions. Bruxelles, c’est « Maastricht Plus ».

Ce n’est pas de la persévérance, c’est de l’obstination. Il s’en est même fallu de peu que nos États « délinquants » ne soient passibles de la Cour de justice européenne. Finalement, l’Europe de Mme Merkel et de M. Sarkozy a résolu de confier ce pouvoir de police budgétaire à la Commission européenne. Un seul critère a disparu du discours officiel : le contrôle de l’inflation. Et pour cause ! En quelques années, l’obsession désinflationniste de la BCE a précipité l’Europe au bord de la récession. Et pourquoi donc ce renforcement de la discipline budgétaire ? Pour plaire, nous dit-on, à la Banque centrale européenne dans l’espoir que celle-ci agisse plus massivement sur les taux d’intérêt. La boucle est bouclée. Comme l’apprenti sorcier de Goethe perd le contrôle de son balai, les auteurs du traité de Maastricht n’ont plus prise sur cette banque qu’ils ont créée. Au lieu que le pouvoir politique, issu de la démocratie, use de la monnaie européenne comme d’un instrument au service des peuples, il en est devenu le sujet.
Nos chefs d’État en sont réduits à se contorsionner devant ce « pouvoir de banquiers nommés et inamovibles » pour obtenir ses grâces. Et encore ! Il ne s’agit même pas de lui demander d’intervenir directement pour racheter la dette, comme le préconisent nombre d’économistes antilibéraux. Mais il existe cependant une différence entre M. Sarkozy et l’apprenti sorcier. Au premier, il ne déplaît pas d’invoquer ce pouvoir monétaire qui, en apparence, lui échappe, mais lui sert surtout d’alibi pour exercer une politique antisociale qui s’imposerait à lui. Tout le processus mis en place depuis vingt ans par les libéraux vise à ce résultat : « objectiver » la politique. Lui donner les apparences de la fatalité. La dette, dans ce discours, est devenue une malédiction qu’il faut conjurer. Et la politique d’austérité un impératif venu d’ailleurs. Et le report de l’âge de la retraite l’expression d’une volonté divine. Et le non-remplacement des fonctionnaires… Et la privatisation des services publics…

Comment désacraliser cette idéologie libérale ? Comment en repolitiser le contenu ? Comment réintroduire le peuple souverain dans cette histoire européenne dont il ne cesse d’être exclu ? L’initiative d’Attac, qui demande un « audit de la dette », nous semble une bonne façon de reprendre la main face à ce qu’il faut bien appeler une arnaque antidémocratique [^2]. « Avons-nous trop dépensé pour l’école et la santé, ou bien les cadeaux fiscaux et sociaux depuis vingt ans ont-ils asséché les budgets ? » , demande la pétition. Façon de revenir à la matérialité des faits. Cette dette, ce ne sont pas ceux qui l’ont creusée qui sont mis à contribution pour la résorber. Et les peuples qui vont subir la politique d’austérité européenne ont peu de responsabilité dans le gonflement de la dette. Cherchez l’arnaque…

[^2]: Voir www.audit-citoyen.org

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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