Laurent Mucchielli : « Punir plus vite et plus tôt »

Non, la violence des jeunes n’est pas en augmentation, et les politiques sécuritaires produisent de la délinquance alors qu’elles prétendent la combattre. En réalité, la justice a surtout besoin de moyens.

Ingrid Merckx  • 15 décembre 2011 abonné·es

Fondateur de l’Observatoire régional de la délinquance en Paca, Laurent Mucchielli publie un essai qui analyse la construction politique de la violence. Sur fond d’instrumentalisation des chiffres de la délinquance, les mineurs sont les premières cibles d’une machine pénale qui frappe d’abord les immigrés et les pauvres.

Les Français ont-ils peur des jeunes ?

Laurent Mucchielli: Les jeunes font partie des trois grandes figures de dangerosité, avec les étrangers et les fous. C’est la loi universelle des générations : en vieillissant, les gens ont tendance à penser que le monde normal, c’est celui qu’ils ont connu étant jeunes. D’où un discours décadentiste. Il y a donc un fond historique et sociétal à cette peur. Ensuite, la jeunesse est globalement perçue comme synonyme de danger et associée à quelque chose de négatif, alors qu’elle représente l’avenir. Il faut ajouter, en France, une idéologisation des questions de sécurité. Ce qui est nouveau, c’est l’usage permanent qu’en fait le politique.

Tous les jeunes font-ils peur ?

La peur du jeune tend à rejoindre la peur de l’immigré et un vieux racisme ­anti-maghrébin. Le tournant, ce sont les années 1989-1991 avec la première affaire du foulard islamique, les premières « émeutes urbaines » (Vaulx-en-Velin, Mantes-la-Jolie…) et la première guerre du Golfe, qui ont fait éclater les repères traditionnels, ont divisé la gauche et déclenché une peur générale. On peut aujourd’hui tenir des discours très stigmatisants à l’égard des jeunes des cités sans avoir par ailleurs des idées racistes. Ce mouvement s’est encore accentué avec la peur de l’Islam et les répercussions des attentats du 11 septembre 2001. Cette peur s’abat d’abord sur les quartiers populaires. L’accumulation des lois sur la justice des mineurs traduit la peur des classes les plus favorisées à l’encontre des enfants des pauvres. D’ailleurs, quand la machine attrape un de leurs enfants, le discours devient complaisant.

Notre société fabrique-t-elle des délinquants ?

Certainement, chez les adultes des quartiers d’affaires comme chez les adolescents des quartiers pauvres. Les jeunes qui effectuent un parcours prolongé dans la délinquance sont essentiellement originaires de quartiers pauvres et pris dans un cumul de carences ou de conflits familiaux, d’échecs scolaires et de manque de perspectives d’insertion lié au niveau de chômage. Leur délinquance n’est pas seulement un ensemble d’activités mais aussi une transformation psychologique. On adopte le rôle de délinquant, comme un statut que les autres – habitants du quartier, policiers – nous accordent, que ce soit valorisé ou dévalorisant. Sur quoi asseoir un peu de fierté quand on a vécu dans le conflit et été cancre à l’école ? Sur le rôle du bandit. C’est un grand classique. Mais plus la société construit la figure du bandit, plus ce rôle est important et facile à endosser.

La délinquance est-elle une réponse au chômage ?

Préadolescence = bêtises, bagarres de garçons, petits vols, petites destructions. Ce processus concerne tous les milieux. Après, certains jeunes vont faire un séjour prolongé dans la délinquance et occuper les institutions pénales : police, justice, éducateurs de la PJJ… Ils sont surreprésentés dans les quartiers populaires parce que, pour sortir de la délinquance, il leur faut trouver comment gagner leur vie autrement. Entre la petite délinquance adolescente et la carrière de truand, il y a un sas que le trafic de drogue a contribué à élargir. Mais la concurrence est rude : ils se tuent entre eux.

Les jeunes sont-ils plus dangereux qu’hier ?

Le seuil de tolérance s’effondre. Ce qu’on appelle violence n’en était pas il y a trente ans. On vit dans une société de plus en plus anonyme avec de moins en moins de liens de solidarité. Les désordres de la vie quotidienne ont une répercussion beaucoup plus importante. D’où une judiciarisation des problèmes : pour un problème de voisinage, on appelle Police secours. Enfin, il y a une pression politique qui engendre une pression judiciaire. On réforme tous les six mois la justice des mineurs, donc on met la pression pour pénaliser. Plus on compte, plus on produit de statistiques pour dire : « Les chiffres augmentent ! » C’est un cercle vicieux.

Pourquoi cibler les mineurs récidivistes ?

Un petit noyau de jeunes met en échec les professionnels. Devant un cumul de fragilités, d’échecs et de souffrances, il n’y a pas de solution miracle instantanée. Ce petit nombre affole. Il n’y a rien de plus facile pour le politique que de s’en emparer pour faire croire aux citoyens qu’on a enfin trouvé comment les débarrasser de ces gosses. Alors que le problème ne peut pas disparaître. Il s’agit de le gérer le moins mal possible et, pour cela, ce n’est pas le politique qui a la solution, mais les professionnels de la justice. La plupart disent qu’ils n’ont pas besoin de nouvelles dispositions pénales mais de moyens et d’un peu de temps.

Les mécanismes justifiant l’ordre et la sécurité
ont-ils changé ?

En dix ans, le code pénal a été réformé une cinquantaine de fois, avec comme sous-titre : « la justice des mineurs ». Les pratiques sont modifiées au point qu’on menace gravement les principes généraux du droit, qui participent des fondements de l’État de droit. L’idée qu’il faut juger immédiatement et que juger veut dire punir, enfermer, est contradictoire avec la démocratie. Dans un régime totalitaire, des ordinateurs déterminent la peine en fonction de l’infraction et du degré de récidive. C’est cette logique-là qui s’est enclenchée. On veut punir vite, dans l’idée de mettre à l’écart de plus en plus tôt. L’idée est d’abolir la minorité pénale en déniant l’enfance mais aussi l’adolescence. C’est d’une grande violence.

Que signifie la volonté de dépister la délinquance dès les premières années ?

Cette politique sécuritaire repose sur un déni des mécanismes humains et sociaux. C’est l’idée selon laquelle comprendre équivaut à excuser, confusion volontaire entre comprendre au sens intellectuel et être en accord au sens moral. Dès lors que l’on ne veut pas analyser, on ouvre la porte à tous les délires : code génétique ou mythe à fond religieux selon lequel certains choisissent le Mal. Il s’agit alors de trouver les signes précurseurs de la délinquance chez les petits enfants. Ce que tous les professionnels de l’enfance considèrent comme une aberration.

Publié dans le dossier
Jeunes dangereux ou en danger ?
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