Les dépités de l’UMP

Et si Nicolas Sarkozy n’était pas le meilleur candidat à droite ? Même s’ils sont bien obligés de soutenir le seul candidat en lice, nombre de militants s’interrogent et doutent de plus en plus de la stature de leur champion.

Pauline Graulle  • 1 décembre 2011 abonné·es

D’ordinaire, le militant UMP est plutôt droit dans ses bottes. Mais, ces derniers temps, rien ne va plus en Sarkozie. Entre les fortes turbulences économiques et la mauvaise passe politique que traverse le candidat déjà connu – mais non encore déclaré – de la droite, la base militante s’interroge : et si Nicolas Sarkozy n’était pas le meilleur pour faire gagner son camp en 2012 ? Nul n’ose encore envisager le scénario noir d’une non-réélection. Mais l’heure est, sinon aux doutes, du moins au désenchantement.

Les indices de la sinistrose ne sont pas difficiles à dénicher. Comme ces confidences recueillies à la sortie des conventions que l’UMP organise presque chaque semaine depuis le mois de septembre. Venue avec une amie, Rita, retraitée de Total et habitante du très chic VIIe arrondissement parisien, ne cache pas son amertume : « C’est vrai qu’on est un peu déçus par Sarko. Depuis qu’ils ont le pouvoir, lui et sa bande ont pris la grosse tête. On a l’impression qu’ils n’ont plus besoin des militants, alors ils nous ignorent. »

« Le moral n’est pas terrible, les militants se posent des questions » , confie à son tour Nicole, qui passe elle aussi le plus clair de sa retraite dans les raouts organisés par le parti. Mais si Rita n’envisage « personne d’autre » comme candidat en 2012 – « Juppé, je ne le sens pas, et Fillon, il vise la mairie de Paris » , dit-elle –, Nicole, elle, ne s’interdit pas de rêver un peu : « Pour moi, Juppé serait meilleur. Mais bon, on n’a pas le choix. Et c’est peut-être aussi bien comme ça. »

Même méthode Coué chez les militants réunis un samedi d’automne dans un café du XXe arrondissement de Paris pour un « goûter » entre adhérents de la circonscription. Wagdy, 25 ans, étudiant en histoire à l’allure proprette, force son optimisme : « OK, en ce moment, on est au creux de la vague… mais on va remonter la pente ! » Les ­divisions internes au parti ? Les guerres de pouvoir rendues publiques entre Rachida Dati et François Fillon ? Les mauvais sondages pour Sarkozy relayés dans la presse ? « Les journalistes, qui sont dans leur grande majorité de gauche, ne savent que nous traîner dans la boue, et si loin de l’élection, les sondages ne veulent rien dire » , se rassure Romain, qui milite aussi dans le quartier.
De toute façon, à droite, l’antienne du leader « naturel » a la vie dure : « De Gaulle, lui, n’a jamais eu besoin de primaires » , lance Wagdy. Pourtant, derrière les apparences de la décontraction moqueuse, les élections au PS ont laissé un goût amer à tout ce petit monde. « Ç’a été un coup dur pour nous, car les médias nous ont muselés » , soupire Michel, septuagénaire à l’air bonhomme qui tripote une pile de flyers de 2007 barrés du slogan « Ensemble tout devient possible ». « T’inquiète pas , rétorque Wagdy avec un clin d’œil complice, Sarko est peut-être usé médiatiquement, mais laissons les socialos se fatiguer… Tu verras, Sarkozy sera réélu. “Ric rac”, mais il passera s’il arrive à se réconcilier personnellement avec les Français. » Un « si » qui en dit long…
Car le chef de l’État a perdu de sa superbe depuis 2007. L’image de président « bling-bling » continue de lui coller à la peau. « Pas l’idéal en pleine crise » , admet Marceau, militant aux Jeunes de l’UMP en Seine-Saint-Denis, qui juge que Sarkozy fait davantage les frais d’un « rejet de sa personnalité que du rejet de sa politique ».

Quant à l’autoproclamé « président de la rupture », il semble aujourd’hui relégué à un lointain souvenir : « Dans le fond , explique Wagdy, *Sarkozy fait au mieux avec ce qu’on lui a laissé. Il est européiste, il est mondialiste, c’est le meilleur dans le pire. Le vrai changement, ce serait Mélenchon ou Le Pen au pouvoir. »
*

De là à dire que celui qui représentait à l’époque le renouveau politique s’est banalisé… « Il n’a pas été assez loin, il a voulu trop concilier. Mais ça, c’est parce qu’il n’a que des fonctionnaires autour de lui » , grince un militant sous couvert de l’anonymat. « Il a quand même remué les tabous, fait tomber quelques toiles d’araignées » , plaide Nicole… sans pour autant préciser lesquelles.

Dresser un bilan positif du mandat de la majorité ne semble décidément pas aller de soi. Ça et là, on loue, certes, la manière dont Nicolas Sarkozy a su « gérer la crise » , ou son rôle de « meneur » sur la scène européenne et internationale, en Libye ou en Géorgie. On lui sait gré de la réforme des universités, du RSA, et même des «  gros efforts réalisés pour ­rénover le matériel de l’armée » , souligne Wagdy.

Mais derrière les euphémismes et l’indulgence polie, les mauvais points s’accumulent : son « manque de continuité » sur la ­fiscalité, ses défaites aux élections intermédiaires, notamment aux sénatoriales –  « même si, sans doute, un autre que lui les aurait aussi perdues » , tempère Nicole –, voire sa stratégie d’aller piocher dans les voix du Front national. Sans parler des « affaires »« Les affaires, c’est jamais bon » , lâche Michel, qui pourtant ne croit pas aux « enveloppes de Bettencourt ».

Reste le noyau des « inconditionnels ». Comme Hélène, grand-mère pleine de ­l’affabilité bourgeoise des Hauts-de-Seine. « Sarkozy est très courageux. La preuve, il est allé sept fois en Corse ! Il a risqué sa vie ! », sourit celle qui eut en son temps « un coup de foudre intellectuel pour Giscard d’Estaing ».

Il y a aussi Julien, 26 ans, militant aux « Jeunes Pop » du 93. Le jeune homme, qui vit en face de la cité des 4 000 à la Courneuve, où, affirme-t-il, « le kärcher a vraiment été passé » , voue au Président, auquel il doit son entrée en politique, une fidélité à toute épreuve : « Avec le G20, nous avons repris le flambeau, veut croire le jeune sarkozyste. Nous avons un capitaine courageux, qui tient toujours la barre. » Mais le gros temps ne vient-il pas seulement de se lever ?

Publié dans le dossier
Sarkozy le boulet de l'UMP
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