Centrales nucléaires : Greenpeace en procès

De la prison avec sursis et des peines d’amende ont été requis contre les neuf militants de Greenpeace vendredi matin au tribunal de Troyes, un mois et demi après leur intrusion dans la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine. Reportage, avant le prochain procès du 24 janvier.

Erwan Manac'h  • 23 janvier 2012
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Centrales nucléaires : Greenpeace en procès
© Photo : centrale de Nogent-sur-seine, AFP / François Nascimbeni

Ils quittent la salle d’audience en fille indienne, sans un regard pour les caméras qui attendent une déclaration. Au terme d’un procès quasi circonscrit à des questions de procédure, les neuf militants de Greenpeace jugés vendredi 20 janvier au palais de justice de Troyes gardent la réserve qu’ils observent depuis leur interpellation. À la barre, les militants jugés pour « dégradation en réunion » et « violation de propriété privée » invoquent simplement leur « devoir de citoyens » face aux dangers du nucléaire : « Il était insupportable que l’audit de sécurité [des centrales nucléaires] ne prenne pas en compte le risque d’intrusion » , explique Fabrice, un apiculteur déjà jugé à deux reprises pour des actions avec Greenpeace.

En plein débat sur la sécurité nucléaire, ces neuf militants de tous âges, étudiants, salariés ou retraités, se sont introduits dans l’enceinte de la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine le 5 décembre 2011. Certains se sont hissés – « avec l’échelle de service » – jusqu’au toit du dôme d’un réacteur pour y peindre – « à la peinture à l’eau » – un triangle rouge, symbole du danger nucléaire. Une action couronnée d’un tonitruant succès médiatique, doublée d’une victoire politique deux semaines plus tard, avec la mise en place d’un [audit de sécurité](http://www.greenpeace.org/france/PageFiles/266521/12.19 Lettre du Premier ministre relative à l’audit de sécurité des installations nucléaires.pdf) par François Fillon, en référence directe à l’action des militants de Greenpeace.

Controverse nucléaire

Le matin de l’incursion, l’alarme a été déclenchée par « un détecteur de mouvements » lorsque la première barrière sécurisée a été découpée, affirme EDF dans le procès-verbal. Il était 6h15 et les neuf activistes étaient dans l’enceinte de la centrale depuis une heure et demie. Les premiers seront interpellés à 7h04 du matin. « Nous avons été surpris de rester si longtemps » , lance une jeune infirmière interpellée à 10h50 ce matin-là, dans un « parterre de buisson entre la zone 1 et 2 » d’après le président du tribunal. « Nous sommes entrés en marchant », insiste Céline, en formation professionnelle.

Alexandre Faro, avocat des neuf militants de Greenpeace - AFP / François Nascimbeni

Au cours du procès, l’avocat des neuf prévenus, Alexandre Faro, concentre son plaidoyer sur des vices de forme. Il demande d’entrée la nullité de la procédure ; tente de casser le chef d’inculpation pour « enfreinte à la propriété privée » qu’il juge inapplicable à l’enceinte d’une entreprise et demande la requalification de la dégradation de « grave » en « légère ». Chacun leur tour, les neuf militants répondent à voix basse aux questions timides du tribunal, sans entrer sur le terrain politique ni donner de précisions sur leur mode opératoire. Et le procès effleurera à peine la controverse nucléaire, excepté une courte conclusion d’Alexandre Faro contre « l’absence de débat démocratique en France ». Selon l’avocat, Greenpeace n’a pas pu organiser le témoignage d’experts indépendants de la sécurité nucléaire en raison de la date rapprochée du procès.

Infraction altruiste

Aux petits soins avec l’auditoire, le président du tribunal est presque gêné d’insister pour qu’un débat ait lieu. « C’est une frustration » , lance même le procureur, d’apparence magnanime, regrettant «  l’absence d’explication et de discussion » sur le «  signe que Greenpeace a voulu envoyer ». « On a légitimement quelques interrogations sur la façon dont les choses se sont passées, lance-t-il, et nous n’avons pas eu de réponse. ».

Mardi 24 janvier, deux autres militants de Greenpeace seront jugés à Privas, pour s'être eux aussi introduits dans une centrale nucléaire, celle de Cruas (Ardèche), le 5 décembre.
Paradoxalement, il faudra compter sur le renfort de Jean-Pierre Mignard, avocat d’EDF, partie civile et gérant de la centrale de Nogent-sur-Seine, pour parler « d’infraction utile [et] altruiste », « sublimée par le mobile » au service des « intérêts généraux » . Et ce, pour mieux préparer l’auditoire au périlleux exercice rhétorique que l’entreprise essaie de tenir depuis les faits pour se justifier : « EDF avait repéré les militants et avait parfaitement mesuré la dangerosité de l’intrusion » n’estimant « pas utile d’intervenir […] pour ne pas porter atteinte à [leur] intégrité physique » .

Jean-Pierre Mignard ne demande aucun dommage et intérêt mais enchaîne sur la « démarche paradoxale » des militants qui « s’étonnent de ne pas être inquiétés » et dénoncent par la même le développement d’une industrie du nucléaire « sécuritaire […], dictatoriale et totalitaire » : « Le nucléaire, comme toute industrie comportant un risque majeur, doit être soumis au regard de la société, on ne peut pas imposer le nucléaire aux personnes » , défend l’avocat d’EDF, faisant siens les arguments des antinucléaires.  « Il faut certainement améliorer les commissions [locales d’information sur les centres nucléaire] et perfectionner les outils juridiques, mais l’action directe n’est pas justifiée ». Il aura au moins fait rire l’auditoire.

Dans un réquisitoire contre l’organisation qui « cherche à faire peur à la population » par des « actions délinquantes » , le procureur développe les arguments d’EDF. Il ne peut exister d’enceinte « inviolable » , lance-t-il, accusant Greenpeace de provoquer « le renforcement de mesures [de sécurité] dont on sait qu’elles ne seront jamais absolues ». « C’est le paradoxe qui nous amène vers des dérives un peu plus sécuritaires et autoritaires », s’inquiète-t-il .

Main de fer

Entre 4 et 6 mois de prison avec sursis assortis d’une mise à l’épreuve ont été requis contre les neuf militants, avec des peines d’amende allant de 1000 à 1500 euros en fonction des ressources. Cinq d’entre eux sont aussi poursuivis pour « refus de se soumettre à un prélèvement ADN » lors de leur interpellation ; 1000 euros d’amende supplémentaire ont été requis contre eux.

Un réquisitoire accueilli avec inquiétude par Sophia Majnoni, porte-parole de Greenpeace sur la question nucléaire, qui dénonce la systématisation des peines de prison avec sursis contre les militants : « C’est la politique de la main de fer dans un gant de velours !»

Écologie
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