Le cargo escamoté

Le TK Bremen a été démantelé à toute vitesse. Au détriment des précautions environnementales ?

Patrick Piro  • 19 janvier 2012 abonné·es

Sur la plage de Kerminihy, le cargo maltais TK Bremen , échoué le 16 décembre sur les côtes de la commune d’Erdeven (Morbihan), a été découpé en deux semaines par l’énorme pince hydraulique d’Euro Demolition, l’entreprise néerlandaise spécialisée dans ce type de chantier. Un record. Les équipes ont travaillé jour et nuit depuis le 7 janvier. À la grande satisfaction des autorités locales, énervées de voir leur région victime d’un nouvel accident maritime, qui aurait facilement pu être évité.

Les autorités françaises avaient exigé de l’armateur, qui a reconnu son entière responsabilité, que la plage, dont il faudra encore nettoyer le sable et les végétaux, soit rendue à son état initial avant le 6 avril, début des vacances de printemps pour la Bretagne, et deux semaines avant le premier tour de l’élection présidentielle.

Cette opération « commando » suscite pourtant des interrogations. L’association écologiste Robin des bois, spécialiste des pollutions maritimes, dénonce l’« urgence » de ce démantèlement, décrétée par un arrêté de la ­préfecture du Morbihan du 26 décembre, procédure qui permet de s’affranchir de certaines précautions. « Par le passé, des chantiers équivalents ont demandé au moins six mois de travail » , s’étonne Jacky Bonnemains, président de l’association, qui pointe plusieurs zones d’ombre.
La préfecture a-t-elle lancé une analyse des polluants ? Le TK Bremen était un vraquier spécialisé dans le transport de céréales, donc une épave moins sale qu’un chimiquier ou un pétrolier. Cependant, comme pour tout navire, plusieurs polluants lourds peuvent être présents. Tout chantier de démantèlement est donc précédé d’une cartographie localisant ces matières. Cette étape, qui peut prendre trois semaines, a-t-elle été escamotée ? « La cartographie a bien été établie, rétorque Marc Gander, porte-parole de la préfecture maritime de l’Atlantique, qui refuse de la communiquer. Elle révèle la présence d’amiante et d’hydrocarbures. En revanche, nous n’avons pas considéré la présence de peintures toxiques, sur la foi de l’armateur indiquant que le navire avait été repeint après 2003, date de l’interdiction de leur usage. »

« Pourtant, dans l’affaire du démantèlement du ­porte-avions Clemenceau, alors que trois ­associations avaient été admises au sein de la commission de suivi des opérations, nous avions obtenu cette cartographie, riposte Jacky Bonnemains. Ce n’est pas un secret d’État. Nous pensons donc qu’il n’en a pas été établi pour le TK Bremen. Par ailleurs, l’argument concernant les peintures est très léger : on peint toujours par dessus les couches précédentes, probablement chargées en métaux lourds ou en dérivés de pyralène, très toxiques. » Enfin, quid de la présence de résidus de fumigation de pesticides sur les cargaisons de céréales lors de leur chargement ?

Les tôles découpées, récupérées par les Recycleurs bretons, seront donc a priori envoyées en fonderie sans tri particulier, une fois l’amiante retirée.
Une telle précipitation était-elle nécessaire ? Le vraquier a touché des récifs avant son échouage et sa structure a été malmenée, explique la préfecture maritime : « Les assauts des tempêtes hivernales auraient pu le disloquer, ce qui justifie l’urgence. » Robin des bois doute de cet argument, évoquant des épaves encore entières sur les côtes mauritaniennes, bien que battues par la houle depuis deux décennies.

Le désossage en continu, y compris la nuit, a accentué les risques de pollution, estime Robin des bois : travail aux projecteurs, et même à marée haute, alors que le chantier et les outillages baignaient dans l’eau. Une partie du fuel (léger) contenu dans le bateau s’est échappé à cette occasion[^2]. Hélène Rouland-Boyer, à la préfecture du Morbihan, assure que le chantier a été régulièrement inspecté pour garantir son bon déroulement.

Au-delà d’éventuelles motivations politiques, l’effacement du TK Bremen réduit la polémique sur les responsabilités. Ainsi, une grosse tempête, Joachim, sévissait le 15 novembre, quand le TK Bremen a été le seul bateau à quitter Lorient. De plus, relève Robin des bois, le port s’était vu signifier un mois plus tôt (par la préfecture du Morbihan et le conseil régional) un interdit de sortie des pétroliers ou chimiquiers dès que les vents dépassent 60 km/h. L’association a déposé une plainte pour pollution aux hydrocarbures et mise en danger de la vie d’autrui, en l’occurrence les marins du navire, « afin de faire avancer le droit maritime » .

[^2]: Environ une centaine de tonnes avait déjà fui après l’échouage : minime en comparaison avec l’accident de l’Erika (30 000 tonnes de fuel lourd).

Écologie
Temps de lecture : 4 minutes