Avec AClefeu, au ministère de la Crise des banlieues

L’association de Clichy-sous-Bois a ouvert pendant trois jours un « ministère de la Crise des banlieues » en plein centre de Paris, pour faire entendre ses 12 propositions pour la présidentielle. Les candidats de gauche ont répondu à l’appel. Reportage.

Erwan Manac'h  • 26 février 2012
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Avec AClefeu, au ministère de la Crise des banlieues
© Photo : AFP / Thomas Samson

Illustration - Avec AClefeu, au ministère de la Crise des banlieues

Le fronton vieilli d’une belle bâtisse et son perron usé, pour la photo ; trois mètres de hauteur sous plafond sur une cinquantaine de mètres carrés de parquet, pour la réception des candidats : le « ministère [éphémère] de la Crise des banlieues » est à son aise dans le petit hôtel particulier à l’abandon prêté par la mairie de Paris, en plein quartier chic du Marais. Pendant trois jours, du 21 au 23 février, l’association AClefeu[^2], créée en 2005 à Clichy-sous-Bois après les révoltes urbaines, y a organisé un parfait tapage, forçant les candidats et leurs équipes, « loin de la réalité du monde » , à écouter leurs douze propositions pour la présidentielle.

Supprimer les primes

À la faveur des vacances scolaires, une quinzaine de lycéens, étudiants ou jeunes actifs sont venus tenir la permanence aux côtés des militants plus expérimentés. « Nous voulons supprimer les primes pour les profs en Zep, [devenues RAR en 2006], lance Selma, la vingtaine, car cela laisse entendre que c’est risqué. Pour eux la banlieue est devenu un tremplin, ils en partent rapidement » .

Nabil, militant d'Aclefeu - AFP / Thomas Samson

L’association demande aussi des peines d’inéligibilité contre les maires qui enfreignent la loi de Solidarité et de renouvellement urbain (SRU) qui impose aux villes de disposer d’au moins 20 % de logements sociaux. Il faut construire, disent-ils, et poursuivre le louable effort du Plan de rénovation urbaine. Mais « après avoir géré l’urbain il faut gérer l’humain, prévient aussi un lycéen. Si ces nouveaux quartiers redeviennent des cités avec les mêmes problèmes, rien n’aura changé. » Dans sa série de propositions basées sur un plan d’investissement dans l’éducation, une santé de proximité, la culture pour tous, AClefeu propose de rendre le vote obligatoire, avec une reconnaissance des suffrages blancs.

Devant l’étroit jardin privé du ministère, Moustafa Ticho, jeune entrepreneur polyglotte et créateur à Clichy-sous-Bois de la « Brigade anti-faim », pointe avant tout le « problème de communication » et la peur irrationnelle que suscite la banlieue. « Même si [on] a une tête d’ogre, nous avons peut-être un cœur d’oiseau » , s’amuse-t-il, en prévenant toutefois : « Si la France ne fait pas un effort envers les jeunes de banlieues, il y aura toujours des repreneurs. »

« Nous sommes dans une démarche citoyenne et pédagogique, assure Ahmed, étudiant en master 1 de commerce et habitant du Chêne-Pointu, à Clichy-sous-Bois, devenu un triste symbole des copropriétés délabrées en France[^3] *. Mais nous n’avons personne à qui nous plaindre. Au niveau de l’État, c’est le silence. Ils ne parlent que de sécurité ou nous regardent avec misérabilisme alors que nous revendiquons nos droits. »*

Apolitique

Dans les discours, pas de tirades antisarkozystes ni d’arguments pour le partage des richesses. « Nous sommes neutres, apolitiques », expliquent-ils de concert. « Les politiques ont créé un désintérêt pour la politique à force de discours qu’ils n’ont pas été capables de mettre en œuvre » , analyse un jeune homme volubile, qui ne donne plus son nom à la presse depuis qu’il a coincé Le Point en flagrant délit de «bidonnage» lors d’un sujet sur la polygamie. « C’est pour cela aujourd’hui qu’on dit que les quartiers n’appartiennent plus à la gauche » , renchérit un jeune homme à ses côtés.

AClefeu veut surtout faire en sorte que les habitants des quartiers jusqu’alors « assignés à contradiction » dans les partis politiques, soient mis aux manettes de projets qui les concernent. « Il va falloir que les acteurs des institutions soient des gens proches de la base, juge Mohamed Mechmache . « Il faut qu’ils nous donnent des responsabilités » , abonde Ahmed.

Rustines

Dans l’arrière-salle, les militants animent leurs réseaux sociaux et répondent aux mails de l’association sur deux ordinateurs portables. Jeudi 23 février, la venue d’Eva Joly et d’un représentant de Jean-Luc Mélenchon est annoncée. Des délégués de Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen sont aussi espérés, car la démarche se veut «  apartisane » et s’adresse à tous les partis, « extrême droite comprise » , explique Axiom, rappeur et militant.

Illustration - Avec AClefeu, au ministère de la Crise des banlieues

Après François Hollande et Philippe Poutou mercredi, Clémentine Autain, représentant le Front de gauche, et Eva Joly feront finalement le déplacement jeudi. Les échanges sont musclés. Eva Joly est priée de s’exprimer davantage sur les affaires Ali Ziri ou Hakim Ajimi, morts sous les coups de la police, et de montrer un volontarisme plus franc sur les quartiers populaires. « Cela fait 30 ans et 19 ministres de la Ville qu’on ne fait que coller des rustines » , lance Mohamed Mechmache. Le Front de gauche et Clémentine Autain, qui défend la dimension sociale du programme de « répartition des richesses » de Jean-Luc Mélenchon, ne sont pas jugés « suffisamment clairs sur les contrôles au faciès et les bavures policières.» Ils seraient même parties prenantes de « l’acharnement politique et médiatique contre le foulard ».

François Hollande reçu au « ministère de la crise des banlieue » - AFP / Thomas Samson

La veille, François Hollande était sommé de s’expliquer sur les « emplois d’avenir », « qui pourraient se finir en emplois précaires » , selon Mohamed Mechmache. L’élu à la mairie de Noisy-le-Sec sur la liste « Affirmation » dénonce par ailleurs les tentatives de « récupération » de Razzi Hammadi, secrétaire national du PS aux services publics, qui défendait mercredi soir sur LCP des propositions dont se revendique AClefeu : « [Le PS] ne fera pas son beurre sur notre dos » , prévient-il.

Tour de France

En 2007, AClefeu était revenu de son deuxième tour de France avec un « contrat social et citoyen » signé à Clichy-sous-Bois par la totalité des candidats de gauche. « Ces engagements sont restés lettre morte , regrette Fatima Hani, secrétaire nationale et cofondatrice de l’association. Les partis sont restés méprisants devant cette prise de parole » . L’association prépare désormais un nouveau tour de France. Du 16 au 26 mars, deux caravanes sillonneront les grandes villes pour se montrer sur les places publiques.

  • Les 12 propositions de AClefeu pour la présidentielle :

[^2]: « Association collectif liberté, égalité, fraternité, ensemble, unis »

[^3]: Il dénonce notamment les 1200 € de charges trimestrielles que demande en moyenne son syndic, surendetté, placé sous administration judiciaire et incapable d’entretenir un immeuble à l’abandon. La mairie de Clichy-sous-Bois a embauché cette semaine des « agents de portage » pour pallier l’absence des ascenseurs, en panne depuis 4 ans.

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