Fipa, lucarnes sur le monde

Deux curiosités d’abord : Tin City Voices et Grande Hotel. Le premier, d’Elijah Marchand, se veut une exploration sans pathos d’un bidonville à Georgetown, en Guyane, à travers le portrait de trois de ses habitants, des vies parallèles en butte à la violence ambiante et au désespoir.

Le second documentaire, de Lotte Stoops, raconte l’étonnante histoire, à Beira, au Mozambique, du gigantesque Grand Hôtel, de 12 000 m2, construit au début des années 1950, doté d’un vaste hall, d’une immense piscine, de suites, de boutiques luxueuses. Une fierté coloniale du Portugal sous l’ère mégalomaniaque de Salazar, désaffectée à l’orée des années 1980.
Aujourd’hui, 2 600 personnes vivent dans ce bâtiment abandonné, certaines depuis près de vingt ans, sans eau, sans électricité.

L’occasion de voir des œuvres franchissant rarement les frontières, c’est d’abord ça, le Fipa. Plus de 130 films ont été projetés dans cette édition anniversaire (25 ans), venus du monde entier. Comme When the War Ends , de Thijs Schreuder, douloureuse promenade ­irlandaise dans la mémoire d’un homme, membre de l’IRA, hanté par le passé, les violences urbaines, le poids des morts autour de lui.

Fictions ou documentaires, certaines œuvres présentées au Fipa auront peut-être la chance d’êtres acquises par nos chaînes. On peut l’espérer pour Troppo Amore , de Liliana Cavani, bouleversante histoire passionnelle et destructrice, où la caméra se veut d’abord sensuelle avant d’être inquiète, ­tourmentée, violente. Produit par la RAI, ce film s’inscrit dans un cycle consacré aux violences faites aux femmes. D’autres œuvres, déjà coproduites par Arte, Canal ou France Télévisions (M6 et TF1 ne sont jamais présents), seront probablement diffusées dans l’année.

Tel est le cas pour Sous surveillance , de Didier Cros, sur l’univers carcéral vu sous l’angle des matons, au centre de détention de Châteaudun. Assurément l’un des meilleurs films de cette édition. Face à la caméra, le surveillant. Dos à elle, le détenu.

Sans commentaire, le film s’avance au fil de ce tête-à-tête, virant souvent à la confrontation, au mieux à une négociation permanente. De-ci, de-là, la caméra balaye la cour de promenade, les étages des cellules, le quartier disciplinaire, la prison vue de l’extérieur. Si le réalisateur ne prend pas parti, il laisse le mot de la fin au surveillant : « La prison ne dissuade pas. » Avant de boucler le générique avec « Antisocial » de Trust.

Les Fils de la terre, d’Édouard Bergeon, autre réussite de ce festival, articulé autour des difficultés des agriculteurs, et les Enfants forçats, d’Hubert Dubois, tourné principalement en Inde, au Burkina Faso et en République dominicaine, seront également bientôt programmés.

À côté des sujets de société, l’histoire nourrit aussi docs et fictions. La guerre d’Algérie, sans doute dans la perspective des commémorations à venir, a été un thème récurrent du festival. Avec notamment deux belles œuvres : 1962, de l’Algérie française à l’Algérie algérienne , de Malek Bensmaïl et Marie Colonna.

Un récit qui se fait de l’intérieur, celui des petites gens, militants du FLN, pieds-noirs, étudiants, commerçants, artisans, dont les expériences personnelles de l’année 1962 complètent les images d’archives.

Récit intérieur également que 17 10 61 (coproduit par l’INA, Agat Films et Politis ), du collectif d’artistes Raspouteam, concentré sur la journée du 17 octobre, sans négliger le contexte, déployé à partir d’une carte de Paris interactive regroupant huit trajectoires.

Autant de témoignages à la première personne, mis en image par un travail d’archives accompagné de coupures de presse, de documents, de fonds sonores. Une œuvre qui dit tous les champs possibles du genre, et saluée par une mention spéciale au festival, dans une nouvelle section réservée à la webcréation.