Le cercle de l’irraison

Jean-Marie Harribey  • 2 février 2012 abonné·es

La crise a ceci de bon qu’elle permet de boucler les boucles. Le communiqué de Standard & Poor’s justifiant la perte du triple A explique que l’austérité aggravera la récession, mais qu’il faut poursuivre cette politique, agrémentée de réformes structurelles du marché du travail pour le flexibiliser davantage et réduire les droits sociaux. Autrement dit, relancer l’économie en la freinant signifie que les classes dominantes en Europe et dans le monde n’ont pas de stratégie autre que de serrer un peu plus le nœud coulant au cou des peuples.

Le patronat a toujours dit pis que pendre de la RTT, chaque fois que la durée du travail a été réduite pour répartir également les gains de productivité. Les 35 heures, bien que vidées de la plus grande partie de leur portée, sont encore l’objet de sa haine. M. Sarkozy et ses ministres joignent leur voix à celle de Mme Parisot pour prôner le chômage partiel afin de diminuer… le chômage, sans créer un seul emploi, tout en défiscalisant les heures supplémentaires ! Si la mise au chômage partiel peut sembler préférable à un licenciement net au niveau individuel, elle devient la pire des variables d’ajustement si elle est érigée en nouvelle norme collective. Et l’Allemagne, citée en exemple, fait peser son dynamisme sur ses salariés et sur ses voisins en y exportant le chômage.

Tous les néolibéraux invoquent le retour à la croissance ; aucun ne comprend qu’ils ne l’obtiendront pas par l’austérité et que, de toute façon, en elle-même, la croissance ne crée aucun emploi car elle est en interaction avec les évolutions de la productivité et du temps de travail. Ce qui crée de l’emploi, c’est l’écart entre l’évolution de la production et celle de la productivité par tête. Et cet écart est d’autant plus grand que la production croît plus vite que la productivité par tête à durée du travail inchangée ou bien que la RTT est importante. Si on veut éviter la catastrophe écologique, c’est la seconde voie qu’il faut privilégier (1). Malheureusement, François Hollande ne souffle mot ni de la RTT ni de l’écologie.
La crise a mis au grand jour les pratiques bancaires et la politique de la BCE qui ont dirigé l’essentiel de la création monétaire vers les activités financières, le plus souvent spéculatives. En obligeant les États qui baissaient la fiscalité sur les riches à recourir aux marchés pour combler leurs déficits artificiellement créés, l’oligarchie financière a réussi à jeter le discrédit sur le crédit et la notion de dette. Or, la création monétaire est indispensable pour anticiper l’avenir et le développement des activités utiles : dans le jargon, on dit que la création de monnaie permet de boucler le circuit économique. La monnaie doit également redevenir un bien public parce qu’elle est un instrument par lequel les solidarités sociales peuvent être organisées : ainsi, les retraites collectives sont un lien entre les générations, qui se transmettent de plein gré une dette sociale constitutive du vivre-ensemble.

Puisque les boucles sont bouclées, il faut briser le cercle de l’irraison néolibérale en enfonçant quatre coins : revalorisation de la condition salariale (RTT, droit du travail et protection sociale, revenus minimum et maximum décents avec, au plus, un écart de 1 à 10), socialisation du secteur bancaire pour investir en faveur de la transition écologique, annulation de la dette publique illégitime, réforme fiscale radicale pour réduire les inégalités et étendre la sphère non-marchande.

Économie
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