Bégawatts, l’énergie au pouvoir

Fin 2012, quatre éoliennes tourneront à Béganne (Morbihan) grâce au financement majoritaire de particuliers.

Patrick Piro  • 22 mars 2012 abonné·es

La bonne nouvelle est tombée la semaine dernière : le fonds d’investissement Eilañ, que vient de créer le conseil régional de Bretagne pour l’amorçage de projets énergétiques, va entrer dans le capital de Bégawatts. C’était le dernier partenaire qu’attendait la société pour boucler son tour de table. Bégawatts gérera bientôt le premier parc éolien français « citoyen »  : quatre mâts pour 8 mégawatts (MW) de puissance au total, majoritairement financés par l’investissement de centaines de riverains, de sympathisants écologistes ou engagés dans l’économie solidaire.

Le parc devrait livrer ses premiers kilowattheures avant fin 2012 – une production équivalant à la consommation de 8 000 foyers. « Si tout va bien, nous nagerons bientôt dans le champagne ! » , se réjouit Michel Leclercq, à l’origine du projet, il y a dix ans déjà.

Ça démarre tout petit : avec sa femme, professeure de yoga, ce sculpteur écolo dans l’âme se pique d’acheter une petite éolienne avec des copains maraîchers. Ils comptent vendre à EDF (qui a l’obligation de l’acheter) la majorité de la production (qui dépassera largement leur consommation). Un calvaire ! Les énergies renouvelables sont balbutiantes en France. « Nous avons connu des difficultés incroyables pour obtenir le droit de nous raccorder au réseau, et EDF nous offrait un prix dérisoire au prétexte que l’éolienne était d’occasion » , se remémore Michel Leclercq. L’affaire capote.

Les pionniers sont piqués au vif. « Tant qu’à se coltiner des complications, autant viser plus haut et tenter d’impliquer un grand nombre de personnes… » Le mouvement démarre en 2003. Une trentaine de personnes créent à Redon (56) l’association Éoliennes en pays de Vilaine (EPV), bras citoyen et politique du projet. Et c’est la conquête de l’appui du public et des municipalités, la quête de terrains, la collecte des premiers financements. « Les énergies renouvelables doivent pouvoir profiter aux territoires et aux populations locales, et être associées à une politique de réduction des consommations , explique Michel Leclercq. Alors qu’aujourd’hui, c’est du business au profit de quelques gros investisseurs venus d’ailleurs. »

C’est un petit développeur régional spécialisé dans l’éolien qui s’attaque aux embûches foncières, administratives et financières. Il jettera l’éponge. « Nous avons dû changer trois fois de site, on nous dénichait toujours un problème ! » , explique Pierre Jourdain, d’EPV. Un second développeur est contacté, mais il exige 51 % du capital des futurs parcs : incompatible avec la philosophie des fondateurs, qui se sont donnés pour cap le contrôle citoyen du projet dans une gestion coopérative.

En 2007, l’association franchit le cap : elle fonde sa propre société de développement, Site à watts. Elle sera dotée à hauteur de 300 000 euros de capital-risque pour financer les études initiales, notamment grâce aux pionniers qui créent trois Cigales (1) et mettent la main à la poche.
Le conseil général d’Ille-et-Vilaine et la Région Bretagne payeront un salaire pendant toute cette durée initiale –  « Essentiel ! » , relève Michel Leclercq. Deux sites ont été repérés par Site à watts : à Sévérac-Guenrouët (44), où le permis de construire est obtenu en septembre 2011, et à Béganne (56), où il a été accordé en juillet 2009. Bégawatts est créée, commencent les affaires de gros sous…

Pour financer les quatre éoliennes, il faut réunir plus de 11 millions d’euros. Grâce au tarif d’achat attractif et garanti de l’électricité verte par EDF, les projets éoliens sont en général assez vite rentables. Cependant, pour décrocher un prêt, les banques attendent du porteur de projet qu’il mette au moins 20 % de l’investissement sur la table. Où trouver les quelque 2,5 millions de fonds propres nécessaires ? En France, l’appel public à ­l’investissement est strictement réglementé, de manière à protéger les petits épargnants.

Début 2011, EPV, qui compte 200 membres, décide donc de susciter la création de ­plusieurs nouvelles Cigales. Le bouche-à-oreille fonctionne à plein, des centaines de réunions d’information sont organisées, jusqu’à Nantes ou Compiègne. Un an plus tard, EPV dénombre 53 Cigales, plus de 600 petits investisseurs ! « Un véritable réseau d’éducation populaire a émergé autour de ce projet écologique et solidaire » , s’exclame Michel Leclercq.

Florian Gajdos est technicien de maintenance à Vannes, chez Repower, un fabricant ­d’éoliennes. Avec un collègue également séduit par l’idée d’investir dans son secteur professionnel, il contacte les cent cinquante salariés des huit établissements français de l’entreprise. Cinq d’entre eux ont accepté de se joindre à leur projet de Cigales « Mervent ». « C’est modeste, mais nous avons aussi convaincu une vingtaine de proches, il a fallu finalement refuser du monde ! »  Mervent a ainsi collecté 40 000 euros.

Les Cigales vont détenir, avec 1,4 million d’euros, près de 60 % du capital de Bégawatts. Il sera complété par 500 000 euros apportés par le fonds Énergie partagée investissement, lancé en septembre dernier (voir ci-contre), environ 450 000 euros collectés auprès du groupe des fondateurs et d’autres particuliers, 300 000 euros provenant du fonds régional Eilañ, et 100 000 euros placés par de petites structures du milieu de l’économie solidaire redonnaise. Plus de 85 % des fonds propres de la société sont issus ­d’investisseurs citoyens. Un collectif bancaire – Triodos (Belgique), Crédit coopératif et Nouvelle Économie financière (Nef), spécialistes de l’économie solidaire – prêtera à Bégawatts les fonds complémentaires pour engager les travaux. « Nos partenaires évaluent d’abord notre capacité de mener un projet industriel de cette ampleur tout en adoptant une gestion participative » , ­prévient Pierre Jourdain.

Le 10 décembre, les représentants des 46 premières Cigales se réunissaient près de Redon pour débattre du chantier tout neuf de cette gouvernance citoyenne. Parmi les points clés du pacte d’actionnaires, qui pourrait être signé vers mai : un taux modeste de rémunération des actionnaires, des dividendes annuels limités (quand il y en aura) et l’affectation d’une partie des bénéfices à des actions de sobriété énergétique. Le collège des fondateurs et celui des Cigales ne détiendront «  que  » 65 % des voix, soit moins que les deux tiers du pouvoir absolu : le souci démocratique de Bégawatts, c’est de ne pas imposer une «  dictature  » citoyenne aux autres partenaires financiers.

Publié dans le dossier
Le retour du peuple
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