Dominique A : « Quelque chose de collectif »

Son nouvel album, Vers les lueurs, s’appuie sur une dynamique de groupe et parle d’espoir… Dominique A, chanteur éclairé.

Éric Tandy  • 29 mars 2012 abonné·es

Depuis la Fossette, album qui l’avait révélé en 1992, Dominique A sort régulièrement – environ tous les deux, trois ans – des disques. Tous sont intriguants, tous sont intéressants. Son nouveau, Vers les lueurs, le second enregistré pour le label indépendant Cinq 7 (chez qui a lieu l’entrevue), parce qu’il a été construit en groupe et qu’il aborde des thèmes variés (dont celui du « collectif »), devrait l’éloigner de l’image limitée de chanteur intimiste replié sur lui-même, dans laquelle beaucoup ­l’enferment encore.

Avant de le faire, aviez-vous une idée
de ce qu’allait être ce nouvel album ?

Dominique A : Il devait être enregistré en live, mais finalement on l’a réalisé rapidement en studio ; je ne désirais pas faire un disque de pop-rock qui file d’une façon linéaire de son début à sa fin. L’énergie rock devait être présente, mais je voulais aussi qu’il soit écrit. De là mon envie de faire intervenir dans ses arrangements des instruments classiques : un piano, des instruments à vent. Et puis j’avais aussi envie d’un album collectif, conçu avec des musiciens que je connais bien et qui pouvaient donner un son d’« ensemble », une dynamique de groupe. Je souhaitais qu’il y ait une rupture avec la Musique , mon précédent album, que j’avais au départ bricolé tout seul.

Le disque s’appelle Vers les lueurs, deux chansons ont le mot « lumière » dans leur titre…

Vers les lueurs , c’est bien sûr une métaphore très basique de l’espoir… C’est plus l’idée de lumières possibles que de lumières existantes qui est évoquée. « Rendez-nous la lumière », par exemple, est une chanson assez naïve – car je ne sais pas vraiment à qui je dois demander un truc pareil ! – où je mets en avant mon dégoût de la laideur environnante. Je ne suis pas adepte d’un discours, prétendument de bon goût, qui voudrait que l’on trouve de la poésie dans les paysages de zones industrielles… Quand je suis en tournée, et que je passe de salle en salle, souvent situées dans ce genre d’endroits, je ne vois vraiment pas où est la beauté.

« Parfois j’entends des cris » raconte l’histoire de quelqu’un, terré chez lui, qui entend les bruits de la ville, mais qui ne cherche pas à en savoir plus.

C’est une chanson qui est assez différente de l’esprit général du disque. Ses paroles sont plus noires. C’est une fable un peu angoissante, avec une musique qui fait totalement bloc avec les paroles. Sur certains morceaux, je joue sur les contrastes entre le texte et la musique, pas sur celui-ci. J’avais envie d’exprimer une tension qui montait peu à peu et qui à la fin arrivait à un certain paroxysme.

Elle décrit la passivité de quelqu’un refusant de se confronter au quotidien ?

Cela peut être une façon de la comprendre. Un peu comme dans 38 Témoins , le film de Lucas Belvaux, que j’ai vu récemment. Chacun reste enfermé dans son coin, sourd aux bruits du monde, et le bruit du monde finit par nous rattraper de l’intérieur…

Dans cet album, il y a beaucoup de chansons qui racontent des histoires de personnes qui aimeraient bien, comme dans « le Convoi », rejoindre quelque chose de collectif ou qui (dans « Vers le bleu ») attendent que quelqu’un les aide à se relever. Ce sont les idées dominantes du disque, plus que celle de lumière en fait, j’ai compris cela après l’avoir enregistré.

« Le Convoi » est le morceau phare de l’album, plus visuel, peut-être le plus énigmatique. Il décrit une masse humaine en mouvement, sans que l’on sache ce qu’elle est ni où elle va.

Beaucoup de gens me parlent de Cormac McCarthy pour cette chanson, car sa structure musicale, faite des mêmes quatre accords qui tournent inlassablement, suggère l’idée d’une route qui avance et ne dévie pas. On peut pourtant interpréter son texte de nombreuses autres façons, car il demeure vague et surréaliste. C’est d’ailleurs de cette manière que je préfère procéder, plutôt que de préciser un propos avec exactitude. On ne sait pas trop s’il s’agit d’un convoi spectral ou d’une masse de gens. «  Ils ne sont ni vivants ni morts »… Il y a aussi le regard du personnage qui va les rejoindre, et qui se sent à la fois envoûté et effrayé par cette force qui vient vers lui et par laquelle il se sent attiré. Ça peut-être une allégorie sur la peur de voir mourir l’individu quand il se joint au groupe. Cela contraste avec la plupart des choses que j’ai pu faire auparavant, où tout tournait autour de la personne, de l’individu, jamais du collectif.

Vous trouvez des explications à vos chansons après les avoir terminées ?

Oui. Parce que mon critère de choix d’une chanson est musical. Une fois qu’elle existe, soit j’aime la chanter, soit je n’aime pas. Ensuite, je la découvre et je parviens à l’expliquer a posteriori. Au terme français d’auteur-compositeur, qui sépare paroles et musiques, je préfère celui, anglo-saxon, de songwriter, car il rassemble les deux composantes d’une chanson dans un même mot, sans les opposer. Pour moi, cela forme un tout. Je raisonne d’abord en musicien, pas en auteur qui met des accompagnements sur des paroles.

Pourtant, vous avez déjà écrit
des paroles pour d’autres.

Le texte de « Ce geste absent », un morceau du nouvel album, était, par exemple, destiné à Calogero, avec qui j’entretiens de bons rapports. Mais les paroles me poursuivaient dans ma tête, alors j’ai fini par lui reprendre. Quand j’écris pour les autres, c’est un processus différent. J’aime le faire, car ça me limite au seul domaine de l’écriture. Je considère cela comme un travail, mais quand un chanteur accepte de chanter l’un de mes textes, je suis heureux comme un gamin…

Vous le faites parce que vous en avez besoin financièrement ?

Non, je peux bien vivre sans écrire pour les autres, mais je ne peux pas cacher que ça amène un plus non négligeable. Parfois, certaines commandes m’ont rapporté plus d’argent que mes propres productions.

La Fossette est sorti il y a tout juste vingt ans…

Continuer de faire de la musique vingt ans après, c’est inespéré. Au départ, je n’avais rien prévu de pareil, j’étais dans l’amateurisme total. Après mon second album, Si je connais Harry, j’ai compris que, si je voulais « durer », il ne fallait plus que je fasse les choses en dilettante. Mais rien n’était assuré. Il y a longtemps, je me rappelle avoir dit aux gens de ma maison de disques : « Attention, je vais bientôt perdre tous mes cheveux », ce qui sous-entendait que ma carrière risquait de s’arrêter…

Aujourd’hui, je suis certain que je serai là au moins encore dix ans, mais ça fait peu de temps que j’en suis convaincu.

Vous vendez toujours invariablement
le même nombre de disques.

En effet, à part la Mémoire neuve (1995), qui avait mieux marché, je vends toujours systématiquement 30 000 albums, crise du disque ou pas. Mais j’aimerais bien un jour avoir un disque d’or [qui correspond à 50 000 ventes, NDLR] et franchir un autre seuil, rien que pour le plaisir. Même si je suis conscient de ne pas être le genre de chanteur qui peut remplir les Zénith.

Et puis vendre beaucoup de disques, ça conforte ma position par rapport aux gens avec lesquels je travaille. Avec la crise du disque, les labels ont besoin de signes encourageants pour produire des enregistrements. Celui de Vers les lueurs a coûté 60 000 euros, il faudrait qu’il soit à peu près disque d’or pour que mon label s’y retrouve financièrement.

En vingt ans, vous n’avez jamais eu de problèmes avec le milieu du disque ?
J’ai eu de la chance, je n’ai pas connu les coups de poignard dans le dos ni les affres de la « placardisation ». Mais ça m’est arrivé de mettre la main à la poche pour qu’un album puisse être terminé. Cela fait longtemps que je ne touche plus de royalties d’EMI [la major qui a sorti ses six premiers disques, NDLR], parce que le dernier chez eux n’avait pas été rentabilisé. Comme j’avais participé à sa production, je le paye encore.

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