La fuite des Syriens de Homs

À la frontière libano-syrienne, les réfugiés affluent. Ils viennent d’Homs, de Talqala ou de Zahra et ils témoignent de la sauvagerie de la répression. De notre envoyé spécial Jacques Duplessy.

Jacques Duplessy  • 22 mars 2012 abonné·es

En face de l’école Rama, à Wali Khaled, transformée en centre d’hébergement collectif pour les réfugiés syriens, une famille de Homs campe dans une maison en construction. Elle est arrivée dans cette petite ville frontière libanaise il y a six jours.

« Nous habitions le quartier de Bab Amro, près de la gare », raconte Farhan Abu Mouhamad, le chef de famille, un architecte de 65 ans. Ils ont vécu deux mois sous les obus. « Les explosions se succédaient non-stop de 5 heures du matin jusqu’au soir avec une régularité effrayante. Grâce à Dieu, personne n’a été blessé ! » La famille avait mis en place une stratégie pour se protéger. « Nous passions de rue en rue en fonction des zones de bombardement » , explique Farhan. Sa maison a été détruite par un obus. La famille a connu la faim, comme l’ensemble des habitants de Bab Amro. « L’armée syrienne empêchait la nourriture d’entrer dans le quartier. C’est l’armée syrienne libre qui nous ravitaillait. Ils allaient saisir des réserves de farine et d’huile dans les quartiers voisins pour les distribuer gratuitement. »

Farhan et les dix personnes qui composent sa famille ont quitté Bab Amro juste avant que l’armée syrienne n’investisse le quartier. « On craignait les représailles et notre maison était détruite. Nous sommes partis sans rien. » Il leur a fallu une journée de marche pour quitter Homs avant de trouver des passeurs qui les amènent en territoire libanais.

À Wali Khaled, leurs conditions de vie sont difficiles. Dans la maison en construction, du plastique fait office de fenêtres, des couvertures de portes. Ils s’entassent dans une seule pièce. Un poêle à mazout peine à donner une chaleur correcte. La femme de Farhan est tombée malade. « On a reçu des vêtements, des matelas, un poêle, mais on manque de mazout et d’argent. Il n’y a pas de perspective. On est bloqués ici. On ne peut pas se déplacer à l’intérieur du Liban car l’armée verrouille la région. Je n’ai pas droit de travailler. » Son fils aîné, Ali, rêve de pouvoir revenir à Homs rapidement. Le second, Ahmad, voudrait rejoindre l’Armée syrienne libre (ASL).

En marge d’une manifestation de soutien à l’insurrection à Wali Khaled, nous rencontrons plusieurs réfugiés qui disent avoir été arrêtés et torturés. Parmi eux, Ala Ali, un photographe de 29 ans originaire de la ville de Talqala, arrivé au Liban depuis octobre. Ala Ali a été détenu vingt-trois mois. « J’ai eu des différends commerciaux avec des Alaouites. Alors ils m’ont dénoncé comme soutien des révolutionnaires. » Il a été emprisonné sans jugement dans les locaux de la sécurité militaire de Damas. « Nous étions plus de 80 dans une pièce de 30 m2. On ne tenait pas tous allongés. Nous devions rester à genoux toute la journée, sans parler. Chaque jour, les gardiens nous tapaient, lors des interrogatoires ou juste comme ça. Ils utilisent des câbles électriques pour frapper sur les talons. »

Depuis ces mauvais traitements, il a des douleurs aux genoux et au dos. Et un traumatisme psychologique. Un matin, Ala Ali a été libéré aussi soudainement qu’il avait été arrêté. Il a retrouvé son magasin saccagé et pillé. « Quatre jours plus tard, les services de renseignement militaire m’ont téléphoné pour que je me présente chez eux. Je savais ce qui m’attendait, alors je suis parti immédiatement au Liban. »

Depuis, son père a été tué de 51 balles. Un de ses cousins, blessé par balle à l’aine, a été enlevé de l’hôpital par la police. Il est mort six jours plus tard. Ala Ali a rejoint l’ASL. « Je suis en colère. Je dois prendre les armes maintenant. Je suis retourné deux fois à Talqala pour me battre. Maintenant, je suis en attente car nous manquons d’armes et de munitions pour tous les volontaires. » À Wali Khaled, la peur ne l’a pas complètement quitté. « Il faut faire très attention. Il y a des espions syriens ici. »

Plus à l’est, dans la vallée de la Bekaa, El Fakha, un village situé à 18 kilomètres de la frontière, accueille 16 familles syriennes. Ici, pas d’hébergement collectif dans des écoles ou des mosquées. Les quelque 200 réfugiés sont comme absorbés par les 5 000 habitants. Certains sont logés dans de la famille ou chez des connaissances. D’autres sont généreusement accueillis par des habitants ou occupent des maisons en construction. « Les réfugiés syriens qui arrivent ici n’ont que trois villages où aller , explique une habitante. Ce sont ceux à majorité sunnite. Les autres sont contrôlés par le Hezbollah, une milice chiite qui soutient Bachar Al-Assad. »
Dans une même rue, habitent cinq groupes de réfugiés originaires de Zahra, un village à trois kilomètres de la frontière. Deux groupes sont d’une même famille. La guerre les a jetés sur les routes à trois jours d’intervalle. Mais les uns soutiennent la révolution, les autres le président syrien.

Ahmad est arrivé la veille au soir avec ses deux femmes et ses 14 enfants. Ils ont franchi la frontière à pied, puis un minibus les a transportés à El Fakha. Tous ont le regard perdu et triste de ceux qui viennent de subir un choc traumatique. « C’est la deuxième fois que nous perdons notre maison , explique Saada. Il y a sept mois, elle a été brûlée par des manifestants, parce que mon mari et un de ses fils, gendarme, sont membres du parti baas de Bachar Al-Assad. Et, hier, l’armée syrienne a bombardé notre village à cause de la présence de l’Armée syrienne libre. Notre maison a été touchée par un obus et a brûlé. Cette fois, nous sommes partis immédiatement avec seulement ce que nous avions sur nous. Nous avons marché quatre heures pour arriver au Liban. »

Hamzi, un des fils, âgé de 9 ans, a été légèrement blessé au visage dans l’attaque de leur maison. Il raconte : « J’étais dans la maison quand il y a eu un grand bruit. Le souffle m’a fait tomber par terre. Je saignais. » Le petit garçon tremble. Quand on lui demande ce qu’il veut maintenant, il répond : « Rien. Ne pas rentrer chez moi. » Fatoum et Saada, les deux épouses, sont inquiètes. « On n’a pas d’argent, pas de nourriture, pas de chauffage. On ne voit pas d’avenir. » Un autre fils, âgé de 20 ans, qui travaille au Liban depuis deux ans comme ouvrier, intervient pour défendre le président syrien : « Il n’a rien à voir avec ce qui se passe en ce moment dans le pays. C’est par hasard que l’armée a détruit notre maison. C’est à cause des opposants. »

Une affirmation qui fait bondir sa sœur Chaza, qui revendique fièrement son soutien à la révolution. Elle est arrivée avec son mari Omar et leur enfant de 2 ans trois jours plus tôt. Leur maison est intacte mais les obus sont tombés tout près. « On a eu peur. On est partis. » Chaza demande que la communauté internationale fournisse des armes à l’ASL. « On doit pouvoir se défendre et faire tomber le tyran » , justifie-t-elle.

Omar envisage de rejoindre l’ASL. En attendant, il a trouvé un travail au noir de tailleur de pierres. Les relations avec le reste de sa famille sont tendues. « On se voit un peu. On se parle. Mais on a des opinions politiques différentes. »

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