Sale temps pour les oiseaux

Le réchauffement a réduit les migrations des volatiles, les plaçant à la merci de brusques vagues de froid. Climatologues et ornithologistes s’associent pour mieux comprendre le phénomène.

Claude-Marie Vadrot  • 15 mars 2012 abonné·es

Au Moyen Âge, les premiers naturalistes écrivaient que les oiseaux s’enterraient dans les marais ou les champs pour hiberner comme les marmottes. À la fin du XVIIIe siècle, puis au XIXe siècle, les observateurs de la nature ont compris que les oiseaux quittaient l’Europe ou la France pour des terres lointaines. Au cours de leurs voyages d’exploration, ils ont même retrouvé leurs oiseaux « français » en Afrique. La communauté naturaliste admettait progressivement que de nombreux oiseaux gagnent d’autres pays[[La première Convention internationale sur la protection des oiseaux migrateurs (jamais respectée)
date de 1905.]], souvent d’autres continents, pour y passer l’hiver avant de revenir nidifier à leur point de départ. Pas seulement pour la chaleur, mais aussi pour trouver la nourriture nécessaire à leur survie. La compréhension du cycle des oiseaux a commencé avec le baguage mis en pratique au milieu du XIXe siècle.

Le phénomène de migration des oiseaux n’est, depuis l’époque glaciaire, qu’une adaptation à l’évolution du climat. L’horloge biologique et hormonale des volatiles leur dicte des vols qui peuvent atteindre une dizaine de milliers de kilomètres en quelques semaines, qu’il s’agisse de grandes espèces comme les grues cendrées, les cigognes blanches ou noires, certains grands rapaces comme le vautour blanc, ou des passereaux ne pesant que quelques dizaines de grammes.

Pour des raisons qui échappent encore en grande partie aux ornithologistes, les oiseaux ­possèdent une « conscience » aiguë des variations climatiques, régimes des pluies ou évolution des ­températures hivernales. Un quadruple phénomène est apparu il y a une vingtaine d’années : le raccourcissement des vols vers les pays chauds et un avancement des dates de retour ; une modification des zones d’hivernage ; l’arrivée d’oiseaux plutôt africains dans les pays européens ; la lente remontée vers le nord d’espèces vivant plutôt dans le sud de la France. On constate ainsi depuis quelques années la présence dans la vallée de la Loire de guêpiers, oiseaux migrateurs aux couleurs chatoyantes, familiers des plaines du Midi, qu’ils ne quittaient auparavant qu’en direction de l’Afrique du Nord. Des spécialistes en ont même récemment observé pendant les mois d’été dans le nord de la France et au Luxembourg.

- Une hirondelle accomplit chaque année entre la France et l’Afrique jusqu’à 15 000 km aller et retour (vitesse : entre 50 et 60 km/h, avec de fréquentes escales pour se nourrir). - Une grue cendrée peut atteindre une vitesse de 100 km/h. - Le combattant, oiseau des marais, vole chaque année de la Camargue au Sénégal sans escale (4 300 km en ligne droite). - La sterne arctique, championne toutes catégories, parcourt environ 20 000 km chaque année des zones arctiques aux zones antarctiques. - Le traquet motteux, gros comme un moineau, effectue plus de 10 000 km aller-retour entre la France et les zones tropicales africaines. - Les gros migrateurs passent du Nord au Sud par Gibraltar, le détroit de Messine au sud de l’Italie, ou par le sud de la Turquie et l’Égypte. Les petits oiseaux traversent au-dessus de la mer sans la moindre halte. - Quelques milliers de perruches et d’oiseaux exotiques échappés de leur cage survivent dans les forêts françaises, notamment à Fontainebleau.
Les progrès de la miniaturisation permettent depuis une quinzaine d’années d’équiper les oiseaux, y compris les plus petits, de balises satellites qui permettent de suivre leurs parcours. Les pionniers dans ce domaine sont les scientifiques du Muséum d’histoire naturelle de Fribourg, en Suisse. En équipant une cigogne, baptisée Max, d’une balise satellitaire depuis le début du XXIe siècle, ils ont constaté que la dame au grand bec réduisait régulièrement ses voyages, s’en allant de moins en moins loin. À l’origine, Max passait l’hiver aux limites du Sud marocain, avec mêmes quelques incursions au nord du Mali. En 2011, comme beaucoup de cigognes nichant en Suisse et en France, elle a hiverné dans la région de Madrid. D’autre part, elle regagne son nid de plus en plus tôt. Sauf en 2012, toutefois : la cigogne a attendu patiemment la fin de la vague de froid aux abords de la frontière franco-espagnole. Certaines cigognes nichant en France ne quittent même plus le territoire, se contentant de gagner le sud de l’Hexagone.

Les oiseaux nordiques, comme les bernaches, qui venaient passer l’hiver sur les côtes normandes ou bretonnes, restent maintenant en Suède ou dans les pays de l’Est. Les grues cendrées, qui traversaient le ciel en diagonale nord-est/nord/ouest, en provenance des pays nordiques et de l’est vers l’Espagne et les plaines du Maroc, sont plusieurs milliers depuis quelques années à s’installer pour l’hiver sur les bords du lac de Der en Champagne. Certaines hirondelles et de nombreux passereaux passent les mois d’hiver en France. Quitte à être surpris, comme cette année, par des vagues de froid. Ce n’est pas la chute des températures qui les tue alors, mais la disparition des insectes qui constituent leur nourriture.

Piège redoutable que ce réchauffement climatique qui fait assaut d’imprévisibilité… Les oiseaux migrateurs, surtout ceux de petite taille, paient un tribut de plus en plus lourd aux changements climatiques. Ne parvenant pas à s’adapter, de nombreuses espèces sont menacées. Ajouté aux ­pesticides, qui les empoisonnent, le changement climatique met en danger un quart des oiseaux d’Île-de-France.

Cette évolution des migrations, qui ne concerne pas seulement les espèces nichant en Europe (les mêmes phénomènes se constatent en Asie et en Amérique latine), explique la collaboration de plus en plus étroite entre les naturalistes et les scientifiques du Giec[^2]. L’observation des changements d’habitudes des oiseaux signale des transformations territoriales précises du climat impossibles à modéliser. Les experts confrontent de plus en plus fréquemment leurs conclusions avec les modèles mathématiques des climatologues, pour affiner leurs prédictions sur le réchauffement, la pluviosité, la désertification et la biodiversité.

[^2]: Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, créé en 1988 à ­l’initiative de l’ONU.

Écologie
Temps de lecture : 5 minutes