Triple catastrophe nucléaire au Niger

Parution. Le mythe de l’indépendance énergétique de la France cache, selon les associations Survie et Sortir du Nucléaire, 40 ans de « mensonge », d’ « ingérence néocoloniale » et des conséquences sanitaires, environnementales et sociales désastreuses pour l’Afrique.

Erwan Manac'h  • 5 mars 2012
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Triple catastrophe nucléaire au Niger
Areva En Afrique, une face cachée du nucléaire français , Raphaël Granvaud, 14€, 260 pages.
© Février 2005, un employé de la mine d'uranium à ciel ouvert de Arlit (Niger), inspecte de la roche contenant de l'uranium. AFP / Pierre Verdy.

Le sol français ne recèle plus un gramme d’uranium depuis 2001. Pour étancher sa soif, Areva, le géant français du nucléaire, doit importer sa matière première de l’étranger. De quoi mettre un coup au mythe de l’indépendance énergétique, pourtant au cœur du discours pro-nucléaire en France.

Réunis pour la publication de l’ouvrage Areva en Afrique , Sortir du nucléaire et Survie ont voulu s’attaquer à ce « mensonge » et à « 40 ans de discours et de manipulations statistiques » : l’uranium n’apparaît pas dans les chiffres des importations énergétiques. Survie dénonce surtout un « pillage […] néocolonial » au Niger – d’où provient 40 % de l’uranium d’Areva – et les conséquences écologiques, sociales et politiques de l’extraction du précieux métal radioactif.

Ingérence

« Des distorsions émanent entre les cours du marché mondial de l’uranium et le prix [moins élevé] que paye la France » , estime Raphaël Granvaud, auteur de Areva en Afrique qui dénonce « la Françafrique décomplexée » et 40 ans de pression politique de la France pour garantir à Areva des prix inférieurs aux cours du marché. Selon lui, les différentes tentatives de renégocier le prix de l’uranium ont avorté, à chaque fois, sur fond « d’ingérence néocoloniale »  : en 1974, un coup d’État militaire destitue le président nigérien Hamani Diori, alors en pleines négociations avec le gouvernement français, dans des conditions « troublantes » .

- Bénéfice annuel d'Areva : 770 millions de dollars - Budget annuel du Niger : 320 millions de dollars. (Source : Areva en Afrique )
Rebelote, dans les années 2000, avec un président Mamadou Tandja affaibli par les rébellions touaregs avec qui la France est d’abord « soupçonnée de collusion pour préserver les intérêts miniers » . Mamadou Tandja, déterminé à « négocier ferme » et faire jouer la concurrence pour revaloriser le prix de vente de son uranium, obtient des premiers résultats en 2007 et un accord avec la France qui comporte des contre-parties militaires. Il finira par réformer la constitution pour s’installer au pouvoir, en 2009, « avec la bénédiction de Nicolas Sarkozy » qui préserve au passage des accords miniers favorables, explique Raphaël Granvaud.

La France pèse également de tout son poids lorsque la Chine commence à lorgner sur l’uranium nigérien après la réélection, en 2004, de Mamadou Tandja qui veut faire du Niger le premier fournisseur mondial d’uranium. Le deuxième gisement d’uranium au monde, à Imouraren, sera conservé en 2008 par Areva grâce à l’appui du pouvoir français.

Compter les travailleurs encore en vie

Illustration - Triple catastrophe nucléaire au Niger

Le Niger, cinquième producteur d’uranium au monde, pointe aux dernières places du classement mondial du développement humain, dénonce aussi l’ouvrage. La population paye un lourd tribut sanitaire et écologique au « pillage » des ses ressources. L’exploitation minière produit de nombreux déchets et contamine l’air par la dispersion des poussières radioactives. Les taux de radioactivité enregistrés aux abords des puits sont parfois 100 fois supérieurs à la normale. Areva a récemment été poursuivi par la famille d’un ancien employé français d’une filiale d’Areva, décédé d’un cancer des poumons après avoir travaillé sept ans dans les mines d’uranium du sud du Niger (lire notre article).

« Il n’y a aucune étude indépendante , s’insurge Bruno Ondo, militant gabonais, qui participait, le 9 février dernier dans un café parisien, à la présentation du livre. Dans le sud-est du Gabon où les mines d’uranium étaient exploitées jusqu’en 1999, l’« Observatoire de la santé », créé pour s’occuper des travailleurs ne compte qu’un médecin, pointe-t-il. Et l’unique praticien habite à Libreville, à 500 kilomètres de la mine de Mounana.

«  Le minimum aujourd’hui serait de dresser une liste des travailleurs encore vivant , s’attriste le militant. Certaines zones sont interdites à cause de la radioactivité, mais elles se situent sur des zones de pêche ou de culture de manioc, qui est consommé ou parfois même vendu à Libreville » .

Concurrence et privatisation

Depuis 2006 et avec la hausse des cours de l’uranium, le Niger attire des concurrents d’Areva du monde entier, laissant craindre une recrudescence des pressions politiques et des pollutions. En trois ans, 139 permis miniers ont été distribués dans des conditions « opaques », estime Raphaël Granvaud.

Survie s’inquiète aussi désormais du projet de privatisation du pôle minier – très rentable – d’Areva. « Le jour où cette entreprise [qui a en charge l’extraction de l’uranium] sera privatisée, on peut craindre que les conséquences soient pires » , prévient Raphaël Granvaud.


  • Sur Survie.org, interview de Raphaël Granvaud :
Monde
Temps de lecture : 4 minutes
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