Le vide en boucle !

Lors de la soirée électorale, les chaînes d’info continue ont brillé par leur absence continue d’infos.

Jean-Claude Renard  • 26 avril 2012 abonné·es

Samedi, veille de scrutin. I-Télé et BFM TV ont incrusté sur leur écran le compte à rebours. La première en bas à droite de l’écran, la seconde en haut à droite. D’une minute à l’autre, l’exercice consiste à faire monter la température. Sur i-Télé, les journalistes martèlent : « Dans un instant, édition spéciale. Restez avec nous. » L’injonction est ressassée toutes les trente minutes. Au jour J, les journalistes des chaînes d’info continue ont quadrillé la métropole. À Arcachon, à Nantes, à Marseille, à Mouans-Sartoux, à Roubaix. Jusqu’à Florange, terre d’ArcelorMittal. On rabâche que « 85 000 bureaux de vote ont ouvert leurs portes », et que « 44,5 millions d’électeurs sont appelés aux urnes ».

Dimanche midi, tombe le premier chiffre. Celui de la participation (28,29 %), diffusé par le ministère de l’Intérieur. Ça glose sur un taux supérieur aux prévisions. Tandis que passent en boucle les images des dix candidats glissant leur bulletin.

À 8 h 30, le premier à voter est François Bayrou, à Pau, déclarant que « le monde appartient aux gens qui se lèvent tôt ». Faute d’avoir relu ses Fables, il verra quelques heures plus tard qu’il convient de partir à point. À 10 h, dans le Xe arrondissement de Paris, pour Jean-Luc Mélenchon, « c’est un moment du parcours, c’est toujours émouvant ». À 10 h 15, Philippe Poutou vote « dans la région bordelaise », Nathalie Arthaud à Vaulx-en-Velin, Nicolas Dupont-Aignan à Hyères, dans l’Essonne, Jacques Cheminade dans le XXe arrondissement. À 11 h 30, Marine Le Pen, à Hénin-Beaumont, se dit que « voilà une bonne chose de faite ». Un quart d’heure plus tard, dans le XIVe arrondissement, Eva Joly voit « le bout d’un long parcours » (sinon du calvaire).

En même temps, Nicolas Sarkozy se présente au lycée La Fontaine, dans le XVIe arrondissement parisien, avec Carla Bruni, main dans la main. Image glamour. Les chaînes oublient de rappeler qu’en 2007 Cécilia, l’épouse indigne, ne s’était pas même rendue aux urnes. Oubli ballot. Ces images de politiques en train de voter passent et repassent. Des heures durant. Avec deux curiosités : Dominique Strauss-Kahn à Sarcelles, Bernadette Chirac à Sarran, en Corrèze. Chassé par les caméras, le premier se refuse à tout commentaire. BFM TV, claironnant fièrement la présence d’Anne Sinclair sur son plateau dans la soirée, ne dit mot.

Cette boucle perdure jusqu’à 17 h, jusqu’au nouveau chiffre sur la participation (70,59 %, contre 73,87 % en 2007). À défaut d’autres informations, les chaînes s’y accrochent. Elles n’ont rien d’autre à dire. Ou pas grand-chose : les résultats de foot, la défaite dramatique du Barça face au Real, une collision entre deux trains aux Pays-Bas, et un honteux grand prix de Formule 1 à Bahreïn (un grand prix à tout prix). De son côté, au-delà des frontières, à 17 h 15, la Radio Télévision belge (RTBF) annonce des premiers résultats, au conditionnel. Hollande serait à 28 %, Sarkozy à 26, Le Pen à 16, Mélenchon à 13. « Les écarts étant relativement faibles, ces résultats pourraient encore être infirmés. » La télé belge fait bien de déployer son parapluie. Les chaînes d’info connaissent ces résultats. Elles déroulent les mêmes images diffusées depuis la matinée. Oscillant entre béances et vacances, elles n’ont rien d’autre à proposer.

À 18 h 10, sur BFM TV, Caroline Fourest arrive en « experte » de la présidentielle (bientôt, elle sera appelée pour commenter le championnat d’Europe de foot ou « Masterchef ») pour considérer sérieusement que « c’est une grande chance de pouvoir voter dans un pays ». Elle n’en revient pas d’être arrivée toute seule à cette conclusion majeure.

La sentence est à l’image de la journée des chaînes d’info. Vide. Le compte à rebours a commencé depuis plus de trente heures. Ni info, ni analyse, ni débat. À 20 h, les carottes sont cuites. France 2 relance une course à moto inaugurée en 2002 avec Chirac, se gave de cadors et fait de la présidentielle un « Fort Boyard ». Pour remplir l’espace de BFM TV ou d’i-Télé, il n’y a guère que des quatrièmes couteaux laissés-pour-compte des grandes chaînes. Alain Madelin et Luc Ferry. La première des candidates à réagir, Eva Joly, ne passe même pas en direct. On appelle ça pourtant l’info continue. Dans le Grand Blond avec une chaussure noire, d’Yves Robert, Bernard Blier avait cette formule appropriée : « Merde, on tourne en rond ! Merde, on tourne en rond ! »

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