Plantes érotiques: fantasmes… et réalité

Claude-Marie Vadrot  • 14 avril 2012 abonné·es

Depuis des millénaires, les hommes et les femmes rêvent des plantes qui leur donnent ou leur donneraient davantage de séduction et plus de plaisirs. Les Chinois furent des experts, les Mésopotamiens faisaient les comptes de leurs échecs et de leurs réussites sur des vieux grimoires, les Grecs en rêvaient et multipliaient les essais, tout comme les Romains. Et le philosophe juif de Cordoue, Maïmonide, bien que théologien reconnu consacra une part de ses activités à l’étude des plantes et de ce qu’il était convenu d’appeler, dans le dernier Califat d’Espagne, les « vertus particulières de certaines d’entre elles » ; y compris celles que lui indiquaient ses collègues catholiques et juifs.

Quant aux Français du Moyen-Age, ils étaient en permanence partagés entre la recherche des recettes miracles et la peur de brûler longuement en enfer pour incitation au commerce de la chair. Y compris quand les moines cherchaient ou parfois découvraient des élixirs complexes qui sont généralement devenus par la suite, ayant prouvé (ou atteint…) leur seuil d’innocuité, des boissons seulement connues comme liqueurs. Honni soit qui mal y pense, la Chartreuse, pour ne citer qu’elle, est un savant cocktail d’herbes qui ne fut pas toujours innocent. Longtemps, les livres vantant les vertus aphrodisiaques de quelques plantes, ont été serrés dans les parties les plus secrètes des bibliothèques; et au Muséum National d’Histoire naturelle, à côté du chanvre rapporté plus ou moins innocemment par les naturalistes-voyageurs fréquentant le Moyen Orient, les herbiers et des livres ont gardé des secrets que l’on estimait précieux. Le naturaliste Pierre Sonnerat, à la fin du XVIII éme siècle, rapporta à ses collègues d’un long voyage aux Indes et en Chine des brassées de Canabis sativa qui firent la joie (purement scientifique) de ses collègues. On les retrouve dans les herbiers de Lamark qui évoqua, après avoir étudié la chose, « une ivresse qui fait oublier les chagrins et donne une forte gaieté » .

Dans un superbe livre (1) paru il y a quelques années, Bernard Bertrand s’est essayé à un tri entre les histoires et les légendes, tentant de voir s’il s’agit d’une « mystification planétaire ou du bon sens des Anciens » . Prudemment, il ne répond pas clairement à la question, rappelant qu’il y a quelques années, l’apparition d’une petite pilule bleue a entraîné une émotion planétaire. Dans ce livre, documents iconographiques superbes à l’appui fournis par le très ancien Institut Botanique de l’Université de Montpellier, il a tenté de faire la différence entre les plantes françaises ou étrangères, stimulantes, toniques et reconstituantes et celles qui offriraient un véritable « service aphrodisiaque » .

La collecte de ces simples plus ou moins magiques n’est pas à la portée du premier venu mais le jardinier peut en cultiver quelques-unes en rêvant qu’elles lui feront du bien pendant qu’elles poussent à côté du persil, de la ciboulette et du thym, Thymus vulgaris , qui fut consacré à Vénus. Une plante aromatique qui apporte indéniablement une énergie virile à condition, semble-t-il, que l’on en consomme de grandes quantités. Dans des ragoûts et dans des infusions que plus grand monde ne boit mais qui étaient très prisées chez les Romains. Rien de plus facile que de faire pousser du thym, y compris sur sa terrasse ou son balcon. Il faut le mettre en terre maintenant, mais difficile d’en boire et manger tous les jours pour faire grimper sa libido.

Également à la portée de tous les jardiniers : la sauge ( Salvia officinalis ) à laquelle les Romains attribuaient des vertus fortement aphrodisiaques. Comme les Gaulois lui prêtaient aussi le pouvoir de « réveiller un mort » , il n’est pas impossible qu’elle entre dans la composition de la célèbre potion magique. Elle pousse facilement, mais comme il faut s’en gaver ou la prendre en bains bien chauds, il faut prévoir grand dans le jardin. Et ne pas la confondre avec les sauges décoratives qui ne réjouissent que les papillons. Comme il est de la même famille végétale, le basilic ( Ocimum basilicum ) à grandes feuilles peut entrer dans le fantasme érotique du jardinier et de la jardinière puisqu’il fut recommandé aux deux sexes. Au minimum, il leur fournira une belle ration de vitamine C. Mais il faut attendre la fin du printemps pour le semer, au jardin comme au balcon.

Bien qu’aucune sourate ne le mentionne, le « persil arabe », plus connu sous le nom de coriandre ( Coriandrum Sativum ) mérite une place dans le jardin des plantes ambiguës auxquelles on peut prêter des vertus qui ne sont pas seulement gustatives ou tisanières. Elle fut, pour les hommes et pour les femmes, une plante aphrodisiaque qui avait la faveur des Egyptiens puisque l’on en retrouva des semences séchées jusque dans leurs tombes. Ses effets sont accessibles par le suc frais de ses tiges, par ses graines et par les essences fortes que l’on peut tirer des semences séchées. Quoi qu’il en soit, ce condiment au passé sulfureux vient fort bien au jardin et j’ai constaté qu’il se re-sème tout seul pour peu que l’on en laisse une partie fleurir. Bien que le secret en soit jalousement gardé, on dit que la coriandre entre dans la fabrication de la Chartreuse et de l’eau de mélisse des Carmes. La roquette, de plus en plus présente sur les marchés, et très facile à cultiver après un semis à la diable, possède également une telle réputation sulfureuse que sa culture fut longtemps interdite dans les couvents et monastères… On peut aussi fantasmer, comme certaines religieuses qui les faisaient pousser dans leurs hypothèses érotiques, avec les capucines, et le moment est venu, une fois mangées les fleurs en salade, de cueillir toutes les graines. Séchées dans une boite, elles pourront être semées l’année prochaine, la couleur des fleurs restant une surprise…

Enfin, toujours facile à faire pousser au jardin, le fenouil dont un dicton populaire affirmait encore au XIX éme siècle : « Si femme savait ce que le fenouil peut faire à son mari, elle irait le chercher de Rome à Paris » . La rime est riche et la plante aussi si l’on en croit les Italiens qui préparent encore des « vins » avec ses graines macérées. Et pour la bonne bouche, nous avons gardé le piment : originaire d’Amérique du sud, connu en France sous le nom de piment de Cayenne. Cette plante annuelle qui se met en terre au début du mois de mai, pousse très facilement à côté des autres herbes savoureuses sous notre climat, fournissant au cœur de l’été des petites gousses rouges qu’il suffit de faire sécher pour conserver du « feu » pendant tout l’hiver. Feu de la langue et, paraît-il, des sens.

Comme quoi, on peut à la fois jardiner et rêver …

(1) L’herbier érotique, histoires et légendes des plantes aphrodisiaques , Bernard Bertrand, Editions Plume de carotte, 210 pages grand format, 35 euros.

Écologie
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