À contre-courant / Biens publics et biens communs

Jean Gadrey  • 17 mai 2012 abonné·es

Les économistes ont une définition des biens publics, mais pas de conception claire des biens communs, une notion qui gagne en influence dans le monde, surtout dans les réseaux militants.

Premier exemple : un phare côtier. C’est un bien public au sens des économistes, tout d’abord parce que l’utilisation de la lumière du phare par une personne ne diminue pas son utilité pour d’autres personnes. Ce n’est pas le cas de la plupart des biens et services produits dans l’économie. Ensuite, il est impossible, ou trop compliqué et coûteux, d’exclure des personnes de son usage, en particulier pour réserver cet usage à ceux qui seraient prêts à payer. Cela implique usage collectif et accès sans péage.

Les biens publics qui intéressent les économistes sont produits par des activités économiques : le phare, les routes, l’éclairage public, la défense nationale… Comme personne n’a intérêt individuellement à payer quoi que ce soit pour en bénéficier (vu que chacun peut en profiter sans payer), il faut que les pouvoirs publics financent leur production. Mais ces derniers peuvent en déléguer aussi bien la construction que l’entretien et la gestion à des entreprises ou organismes publics ou privés.

Deuxième exemple : la qualité de l’air en ville. Ce n’est pas un bien public au sens précédent. En effet, les pouvoirs publics ne peuvent pas déléguer à une entreprise ou à un organisme le soin de « produire » cette qualité collective : il existe un grand nombre de parties prenantes de la « production » et gestion de cette qualité. Ils ne peuvent donc pas non plus être considérés comme les seuls financeurs de cette qualité collective à restaurer ou à préserver. Les citoyens, ménages, associations, entreprises, organismes divers sont amenés à jouer un rôle de fournisseurs de ressources financières et non financières, au-delà de leur rôle de coproducteurs.

Il s’agit d’un bien commun (BC). Les BC désignent des qualités de ressources ou patrimoines collectifs pour la vie et les activités humaines (des BC naturels, des connaissances [1]), voire par extension – mais c’est un débat encore ouvert – des « qualités sociétales » (l’égalité des femmes et des hommes, le travail décent, la sécurité professionnelle des travailleurs…). Pour les qualifier comme BC, il faut un jugement d’utilité collective selon lequel tous, par principe, devraient avoir la possibilité d’en bénéficier ou d’y accéder. Il y a de l’intérêt général dans ce jugement, des finalités ou valeurs de société, des droits universels, autant de notions qui peuvent intervenir, mais avec les « biens communs » on utilise un terme englobant riche de significations. Ces BC, ces qualités collectives, ne peuvent être correctement coproduits et gérés que sur un mode coopératif et démocratique à acteurs multiples, ni étatique ni marchand.

En mettant les biens communs au cœur des projets politiques de « transition écologique et sociale », du local au global, on affirme la primauté d’une économie de montée en qualités collectives sur une économie de croissance des quantités, une primauté de la coopération sur la concurrence, et de la démocratie sur l’autocratie dans ses diverses variantes.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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