Egypte : risque de cohabitation

Les favoris de l’élection présidentielle sont soit d’anciens caciques du régime Moubarak, comme Amr Moussa, soit des islamistes.

Denis Sieffert  • 24 mai 2012 abonné·es

L’élection présidentielle égyptienne, dont le premier tour avait lieu mercredi 23 et jeudi 24 mai, devrait marquer la fin d’une longue période transitoire ouverte avec la chute d’Hosni Moubarak, le 11 février 2011. Une période qui a donné lieu à plusieurs affrontements meurtriers entre les islamistes et l’armée.
Le Conseil suprême des forces armées s’est en effet solennellement engagé à remettre les clés du pays au nouveau président à l’issue du ­deuxième tour prévu les 16 et 17 juin. Mais le retrait d’une institution qui détient sans partage le pouvoir depuis soixante ans est loin d’être évident. Il dépendra beaucoup du résultat de la présidentielle.

Si, comme les sondages le prédisent, Amr Moussa remporte l’élection, le changement pourrait être plus apparent que réel. L’ancien secrétaire général de la Ligue arabe est en effet un ancien cacique du régime. Il fut ministre d’Hosni Moubarak de 1991 à 2001. Aux yeux de beaucoup d’Égyptiens, il incarne plus la sécurité que le changement. Mais Amr Moussa est menacé par un candidat atypique, Abdel Moneim Aboul Fotouh, ancien dirigeant des Frères musulmans, exclu de la confrérie en raison de l’annonce de sa candidature alors que le mouvement s’était prononcé pour le boycott, avant de désigner finalement Mohamed Morsi comme candidat officiel du Parti de la liberté et de la justice.

Aboul Fotouh mène une campagne étonnamment « moderniste », ­faisant assaut de promesses en faveur de la démocratie et du droit des femmes, qui séduit une partie de la gauche. Il a fait savoir qu’il cantonnerait l’armée aux affaires de défense. Au contraire, le pouvoir de l’armée serait renforcé en cas de victoire – hautement improbable – d’un troisième candidat, Ahmed Chafik, qui fut chef d’état-major de l’armée de l’Air, et ministre d’Hosni Moubarak jusqu’aux derniers jours du régime.

La principale inconnue du scrutin reste tout de même le score du ­candidat officiel des Frères ­musulmans. Paradoxalement, si le Parti de la liberté et de la justice a remporté une victoire éclatante aux législatives de novembre dernier (il détient 235 sièges sur 498), son candidat à la présidentielle n’est crédité que de 10 % des intentions de vote.

L’autre inconnue sera le comportement des salafistes d’Al-Nour, qui avaient remporté 121 sièges (24 %) aux législatives, mais dont le candidat, Hazem Saleh Abou-Ismaïl, a été invalidé par la commission électorale. On pourrait donc avoir, fin juin, une cohabitation à l’égyptienne.

Quant aux jeunes révolutionnaires de la place Tahrir, à l’origine de la mobilisation qui a eu raison de Moubarak, ils sont divisés. Certains de leurs leaders optent pour le nationaliste Hamdeen Sabahi, lointain héritier du nassérisme, d’autres pour le populaire islamiste modéré Abdel Moneim Aboul Fotouh. D’autres encore, qui se refusent à choisir entre islamistes et anciens caciques du régime, se prononcent pour le boycott. Autant dire que ceux-là sont très minoritaires dans le pays.

Au total, beaucoup d’Égyptiens souhaitent une stabilisation qui permettrait notamment un retour des touristes, dont la désertion est une catastrophe pour l’économie du pays – un Égyptien sur sept vit du tourisme, première ressource en devises. Ce souci pourrait évidemment faire le jeu d’Amr Moussa.
Au-delà de cette période électorale qui s’étend sur près d’un mois, c’est évidemment les conditions du scrutin et l’acceptation des résultats par toutes les forces en présence qui détermineront l’installation d’une démocratie pérenne. Mais celle-ci ne triomphera que si le régime issu des urnes remédie à certains maux endémiques du pays : l’inégalité dans la répartition de la rente pétrolière, entre les fermiers des classes moyennes et les fellahin (petits paysans), et la corruption.

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