Espagne : « Aux limites du supportable »

La cure d’austérité drastique menée par le gouvernement Rajoy s’accompagne d’un recul historique du droit du travail, et plus généralement d’une grave régression sociale. Explications de Luis Serrano.

Thierry Brun  • 10 mai 2012 abonné·es

Responsable des relations internationales de la CGT espagnole, Luis Serrano décrit une situation sociale dramatique, mais aussi la mobilisation qui est en train de se mettre en place en Espagne pour résister notamment à la casse du droit du travail.

Quelle est votre analyse des mesures d’austérité adoptées ?

Luis Serrano : Le programme de réformes et de coupes budgétaires du gouvernement de Mariano Rajoy est très dur pour la société espagnole. Il entraîne plus de précarité, de chômage, de misère, d’injustice, d’expropriations, d’exploitation au travail, de manque de perspectives, de peur, de soumission, de résignation, d’inégalités… On n’avait pas subi cela depuis la dictature franquiste. La récente réforme du code du travail a été un véritable attentat contre les travailleurs et les travailleuses espagnols. En un peu plus de cent jours de gouvernement, les droits sociaux qui ont demandé des années de lutte ont été supprimés.

La population est indignée, et les mobilisations vont grandissant. Il y a eu la grève générale du 29 mars, et des actions se préparent pour commémorer, le 15 mai, le premier anniversaire du mouvement des Indignés, dont nous pensons qu’il bénéficiera d’un fort soutien social. Le gouvernement a décidé de criminaliser toute action ou mobilisation sociale et syndicale, pour insuffler une « peur de protester » dans la rue. Mais il ne réussira pas à faire taire les millions de personnes qui ont envie de changer le modèle de société que nous fabriquent nos gouvernants, toujours au service du capital !

Quelles sont les coupes budgétaires les plus importantes subies par les salariés ?

La réforme du travail a été le détonateur pour appeler à la récente grève générale. Principales mesures : liberté absolue du chef d’entreprise pour licencier grâce à la loi sur le licenciement justifié ; baisse substantielle de l’indemnité de licenciement, fixée à 20 jours de salaire alors qu’elle était de 45 jours ; suppression de la convention collective nationale ; instauration des contrats précaires comme norme d’embauche ; facilitation du licenciement pour absence, y compris en cas de maladie ; réduction du nombre de fonctionnaires et alignement de leur statut sur celui des salariés du privé.
Sur la période 2010-2013, les travailleurs auront subi une augmentation de 2 à 5 % de leurs prélèvements sur salaire, afin d’assainir les comptes de l’État. En matière de santé, les dépenses doivent être réduites de 7 milliards d’euros. Les centres hospitaliers sont en cours de privatisation. Beaucoup de salariés du secteur ayant des contrats temporaires vont être licenciés.
Le prix des médicaments a augmenté de 10 %. Le budget de l’Éducation doit être réduit de plus de 3 milliards d’euros. Cela a conduit à licencier beaucoup de professeurs sans poste fixe embauchés par l’État.
Dans les transports, les principales entreprises publiques comme AENEA (aéroports) ont été privatisées, et une menace identique plane sur la RENFE (chemins de fer). Les grands investissements de l’État (routes, autoroutes…) ont été gelés.

Dans les prochains mois, la TVA va augmenter (elle est déjà montée de 2 points en 2010) alors que, ­pendant la campagne électorale, c’était l’une des mesures rejetées par le Parti populaire.

Mariano Rajoy veut réduire les dépenses publiques à hauteur de 27,3 milliards d’euros cette année. Est-ce tenable ?

Le gouvernement de Rajoy s’est fixé pour but de réduire le déficit public à 5,3 % du PIB cette année, et à 3 % l’année prochaine, pour satisfaire les banquiers, les marchés, l’Union européenne…
La montée constante des impôts, des taxes et des prix asphyxie l’immense majorité de la population espagnole, en même temps que s’intensifie la réduction progressive des salaires et des pensions, que se multiplient les chômeurs, les précaires… Ce sont 18 millions de salariés, 5 millions de chômeurs, 9 millions de retraités, la jeunesse et les personnes dépendantes, soit 99 % de la population espagnole, qui souffrent.
Or, il y a une évasion fiscale autour de 80 milliards d’euros. Pendant qu’on étrangle la population, une « amnistie fiscale » a été décrétée pour les fraudeurs ! Qui voudra régulariser sa situation devra payer seulement 10 % de la somme due, et l’État promet la confidentialité ! Toutes les mesures de restructuration de 2012 vont dans la direction opposée à la croissance, à la création d’emplois, à la protection des personnes les plus démunies. La population est arrivée aux limites du supportable.

Quelles sont les solutions proposées par la CGT espagnole ?

Il est fondamental de trouver une issue sociale à la crise, de partager la richesse, le bien-être et le travail, de punir la fraude fiscale et de rechercher la justice sociale. Nous luttons pour vivre dignement et transformer le modèle social que le capitalisme nous impose. Nous voulons une nouvelle société qui sache s’autogérer, qui soit fondée sur les droits et les libertés, qui soit égalitaire et solidaire.

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