Front de gauche : l’apport décisif

François Hollande l’a emporté grâce à d’excellents reports de voix à gauche. Le résultat est toutefois plus serré qu’il ne l’espérait pour bénéficier d’un état de grâce et envisager sereinement les législatives.

Michel Soudais  • 10 mai 2012 abonné·es

Avec 51,62 % des suffrages exprimés, la victoire de François Hollande est nette. Elle permet à l’ancien Premier secrétaire du PS de succéder à François Mitterrand après trois élections présidentielles perdues par la gauche. Fort d’un score sensiblement identique à celui qu’avait recueilli son prédécesseur le 10 mai 1981 (51,76 %), il devance Nicolas Sarkozy dans 58 départements, dont 30 où le candidat de la droite était majoritaire en 2007. C’est le cas dans la Sarthe, le berceau politique de François Fillon (52,67 %), la Meurthe-et-Moselle, département de Nadine Morano et de Valérie Rosso-Debord (53,06 %), l’Aisne, terre d’adoption de Xavier Bertrand (52,40 %), ou la Haute-Loire, chère à Laurent Wauquiez (51,38 %). Il gagne également la Charente-Maritime (51,57 %), le Nord (52,88 %), la Somme (54,41 %) et, en Outre-mer, la Guyane (62,05 %).

Autre trait marquant : les trois plus grandes villes, Paris (55,60 %), Lyon (53,12 %) et Marseille (50,87 %), virent toutes à gauche. Dans la capitale, depuis les origines de la Ve République, jamais la gauche n’avait été majoritaire au second tour d’une élection présidentielle. Les grandes villes (Toulouse, Lille, Rennes, Nantes, Clermont-Ferrand, Grenoble…), qui concentrent une grande part de la population, ont presque toutes fait le choix du candidat socialiste, dessinant un vote urbain. La France rurale des petites communes, elle, reste attachée à la droite. François Hollande l’emporte dans 16 252 communes, contre 20 561 pour Nicolas Sarkozy.

Jean-Marc Ayrault ou Martine Aubry ? C’est l’une de ces deux figures du PS que François Hollande devrait nommer à Matignon. Sur France 2, le 27 avril, le nouveau président avait esquissé le profil de son futur Premier ministre : il devra « bien connaître les parlementaires de gauche et avoir avec moi la meilleure des relations ». Le portrait correspond bien au député maire de Nantes, président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale depuis 1997. Les deux hommes se connaissent depuis cette date et ont partagé les mêmes combats à l’intérieur du PS. Le Nantais présente deux autres avantages aux yeux du nouveau président : comme lui, il n’a exercé aucune fonction ministérielle ; ancien professeur d’allemand, il est à même de négocier avec Angela Merkel. Le choix de Martine Aubry exposerait en revanche François Hollande au risque d’une cohabitation du type Rocard-Mitterrand. Mais la maire de Lille, plus connue, est la préférée des sondages. Et son image, autant que son expérience des campagnes électorales, pourrait s’avérer utile pour franchir le cap des législatives. François Hollande a déjà fait savoir qu’il ne s’exprimerait pas lors de ce scrutin et que « ce sera au Premier ministre d’être le chef de la majorité ».
Pour parvenir à un tel résultat, François Hollande a bénéficié d’excellents reports à gauche. Moins par adhésion à son projet que par rejet de Nicolas Sarkozy. D’un tour à l’autre, il gagne 7,7 millions d’électeurs.
Selon un sondage OpinionWay réalisé dimanche auprès d’un échantillon représentatif de 9 200 personnes, autour de 90 % des électeurs de Jean-Luc Mélenchon, qui avait clairement appelé à battre la droite sans cautionner pour autant le programme du candidat socialiste, ont voté pour lui. Les 4 millions de voix du Front de gauche ont donc été d’un apport indispensable. C’est d’ailleurs en Seine-Saint-Denis, département où le vote Mélenchon était le plus haut (16,99 %), que François Hollande réalise son meilleur score en métropole (65,32 %). Si le candidat du PS a capté une part significative des électeurs de François Bayrou, ceux-ci se sont néanmoins à peu près équitablement répartis entre Nicolas Sarkozy (47 %) et François Hollande (49 %), selon le même sondage OpinionWay.

Cette victoire apparaît toutefois un peu étriquée pour permettre au nouveau président d’espérer bénéficier d’un état de grâce. Certes, François Hollande devance Nicolas Sarkozy de 1,14 million de voix, mais plus de 2 millions d’électeurs (2 147 173, soit 5,84 % des inscrits) ont voté sans exprimer de choix, soit qu’ils aient voté blanc, soit qu’ils aient émis un vote nul. Sur plus de 46 millions d’inscrits et 37 millions de votants, le chiffre est significatif. Et certains à droite n’ont pas manqué de le relever pour en conclure, comme Valérie Pécresse, que le nouveau président avait été élu avec une « minorité des voix » (48,69 % des votants). C’est oublier qu’en 1995 Jacques Chirac (49,5 % de votants) n’avait pas non plus passé la barre symbolique des 50 % face à Lionel Jospin ; il y avait eu cette année-là 5,97 % de votes blancs ou nuls.

Ce résultat, plus serré que prévu et espéré par François Hollande, qui souhaitait une « victoire ample » – au-delà de 52 %, évoquait-il vendredi dernier sur RTL –, augure des élections législatives relativement incertaines. Quand, il y a deux ans, le gouvernement avait procédé à un redécoupage des circonscriptions et permis aux Français de l’étranger, majoritairement acquis à la droite, d’élire onze députés, les spécialistes de la carte électorale de la rue de Solferino avaient estimé qu’il faudrait désormais que la gauche rassemble près de 53 % des suffrages pour obtenir une majorité à l’Assemblée nationale. Le propos était sans doute exagéré puisque, dimanche, François Hollande est arrivé en tête dans 344 circonscriptions, contre 244 pour Nicolas Sarkozy.

Il s’agit là toutefois d’un rapport de force qui a peu de chance de se retrouver le 17 juin. D’abord à cause du niveau du vote Le Pen. Sur la base du nombre de voix obtenues par Marine Le Pen le 22 avril, le Front national peut espérer se maintenir dans 353 circonscriptions ; avec une participation électorale forcément plus faible, ce sera sans doute le cas dans 200 à 250 circonscriptions, où son maintien provoquera un nombre élevé de triangulaires. Ensuite, parce que dans une bonne soixantaine de circonscriptions la gauche pourrait être éliminée du deuxième tour au profit de duels droite-FN, si elle ne présente pas des candidats uniques. Or les discussions demandées par le Front de gauche sur ces circonscriptions à risque n’étaient toujours pas entamées lundi.

Enfin, si la probabilité que les électeurs confirment leur choix d’un président de gauche par une majorité législative de gauche est élevée, la perspective de voir le PS contrôler à lui seul l’Assemblée nationale semble très aléatoire. Au terme de l’accord conclu avec le PS, Europe Écologie-Les Verts peut espérer l’élection de 20 à 30 députés. Ses dirigeants n’ont pas ménagé leurs efforts dans l’entre-deux tours pour coller à François Hollande, histoire de faire oublier les 2,3 % de leur candidate. Dès 20 heures dimanche, Cécile Duflot, gommant tout désaccord, estimait que son élection était « une victoire pour tous les écologistes » et que le nouveau président avait « la volonté de mettre en œuvre un projet […] de transition écologique ».

Sur une autre tonalité, Jean-Luc Mélenchon et les responsables du Front de gauche, qui visent une trentaine d’élus – ils en ont 18 – dans la nouvelle assemblée, se sont surtout félicités de l’échec de Nicolas Sarkozy. Une manière de marquer la distance qui sépare le programme de leur coalition de celui du PS. Et de rouvrir la compétition au sein de la gauche après l’éviction de Nicolas Sarkozy.

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