Mitt Romney, un mormon contre Obama

Pour l’instant, la campagne du nouveau candidat républicain ressemble à un référendum contre l’actuel président. Ce qui risque d’être insuffisant. D’autant qu’il ne peut compter sur le soutien d’une nouvelle génération d’évangéliques, plus préoccupés désormais de lutter contre la pauvreté que contre le mariage gay. Correspondance d’Alexis Buisson.

Alexis Buisson  • 3 mai 2012 abonné·es

Il aura fallu cinq longs mois de débats télévisés parfois au vitriol, de primaires et de caucus tendus pour que le Parti républicain se choisisse enfin un poulain. Appelés à leur tour aux urnes mardi 24 avril, les électeurs républicains des États de New York, de Pennsylvanie, du Delaware, de Rhode Island et du Connecticut ont voté massivement pour Mitt Romney, lui donnant officiellement le statut de candidat du parti dans la course à la Maison Blanche.
Romney sera investi le 27 août à Tampa (Floride), lors de la Convention républicaine, en présence de l’ensemble de sa famille politique. « Ce soir est le début d’une nouvelle campagne pour unir tous les Américains qui savent qu’on peut mieux faire, a-t-il écrit dans un message envoyé mardi à ses supporters. Ces dernières années ont montré le meilleur de Barack Obama. Nous pouvons faire mieux ! »

Pourtant, le chemin est encore long pour Mitt Romney, 65 ans. Premier défi pour l’ancien gouverneur du Massachusetts : rassembler un parti divisé par cinq mois de primaires fratricides, marquées par des « hate ads », ces spots publicitaires haineux contre les adversaires, et des confrontations parfois violentes entre candidats. On se souvient des passes d’armes entre Mitt Romney et l’ancien speaker Newt Gingrich à propos des activités de lobbying de ce dernier pour les organismes de crédit Fannie Mae et Freddie Mac. Ou encore des attaques répétées de Rick Santorum, ancien sénateur de Pennsylvanie, sur les réalisations de son rival dans le Massachusetts, notamment une réforme du système de santé accusée de trop ressembler à celle d’Obama.

Même Karl Rove, le sulfureux ex-conseiller de George W. Bush, a admis sur Fox News, en mars dernier, que le processus de désignation ­commençait à être contre-­productif : « Je pense que la balance de ce long processus a basculé du positif au négatif. » Un sentiment partagé par l’électorat républicain. D’après un sondage du Pew Research Center en mars, 36 à 46 % des républicains considéraient que cette longue primaire avait fait du « mal au parti », alors qu’une majorité disait l’inverse un mois plus tôt.

Mais les difficultés du Parti républicain sont plus profondes que des querelles de personnes. Ces vingt dernières années, la part des Américains qui s’identifient au GOP (Grand Old Party) a baissé. En 2010, elle était de 33 %, contre 27 % en 2011. Sur la même période, l’identification partisane aux démocrates a reculé de deux points seulement (de 33 à 31 %), tandis que le pourcentage d’Américains se déclarant « indépendants » a bondi de 33 à 40 %.
Si le GOP souffre davantage de cette désaffiliation partisane que les démocrates, c’est en partie car son électorat pilier, les évangéliques, est en mutation. La Religious Right, ou « Droite religieuse », conservatrice, qui avait porté Ronald Reagan au pouvoir en 1981 et servi de fil directeur à nombre de ses politiques, cède la place à une nouvelle génération de leaders évangéliques. Plus éduqués, mieux informés, ils délaissent les thèmes favoris de l’arrière-garde, comme le mariage homosexuel ou le droit à l’avortement, pour parler de lutte contre la pauvreté, d’éducation et même de sciences. Ils n’hésitent pas à se désolidariser des républicains. En 2008, les jeunes évangéliques (18-29 ans) ont voté à 32 % pour Obama, soit plus que pour n’importe quel démocrate ces trente dernières années.

Mitt Romney pourra-t-il récupérer cet électorat ? Pas sûr. Rappelons qu’il est mormon, un groupe religieux que beaucoup d’évangéliques ne considèrent même pas comme chrétien. Mais pour William Galston, ancien conseiller de Bill Clinton et chercheur à la Brookings Institution, Romney est en ­meilleure position que John McCain il y a quatre ans : « Les conservateurs n’avaient pas confiance en McCain. Romney n’est pas le favori des favoris chez les conservateurs, mais il leur a prouvé plus de choses que John McCain », qui était surnommé le « non-conformiste » au sein de son parti. « L’autre différence, poursuit William Galston, c’est que McCain concourait pour un siège vacant, alors que Romney affrontera un président au bilan mitigé. »

Si Barack Obama domine toujours Mitt Romney dans les intentions de vote, il traîne comme un boulet un taux de chômage relativement élevé (8,2 % en mars) et une dette alourdie. En outre, la Cour suprême doit rendre en juin sa décision sur la constitutionnalité de certaines dispositions de la réforme du système de santé, mesure phare de l’administration Obama. Au beau milieu de la campagne, un verdict négatif pourrait sonner comme un désaveu pour le démocrate.

Autre contrainte pour le Président : la mobilisation des troupes, exercice difficile pour n’importe quel élu sortant qui vise la réélection. L’équipe de campagne de Barack Obama tente de conjurer le mauvais sort en reprenant l’effort de recrutement et de formation des volontaires qui avait conduit à la victoire en 2008. Appels téléphoniques, e-mails aux militants et aux sympathisants pour lever des fonds, porte-à-porte : la machine de guerre se remet en route.

Notons qu’Organizing for America, l’organisme mis en place par Obama en 2008 pour maintenir le contact avec le terrain et organiser sa campagne, dispose des adresses électroniques de 13 millions de supporters de 2008, contre un million pour les républicains. « Le timing est en faveur des démocrates. Quand Bush était président, il n’a pas eu besoin de lever des fonds, de construire une armée de volontaires. En tant que challengers, les démocrates ont dû innover. Trouver de nouvelles manières d’utiliser Internet pour mobiliser et se financer, note Joe Trippi, vétéran de la communication politique, fondateur de Trippi & Associates. Les démocrates ont huit ans d’avance sur le Parti républicain. »

En attendant le sacre de Romney à Tampa, celui-ci a confié à Beth Myers, sa conseillère et confidente, la lourde tâche de lui trouver un vice-président. Le jeune sénateur de Floride, Marco Rubio, d’origine cubaine, est pressenti. Sa sélection permettrait au Parti républicain de se rapprocher de l’électorat ­hispanique, qui tend à s’éloigner du GOP. Mais, s’il veut convaincre, Mitt Romney devra mieux mettre en avant ses propositions, notamment en matière d’emploi, thème dominant de ce scrutin. « Pour l’instant, il fait de cette élection un référendum contre Obama. Or, comme l’a montré l’exemple de John Kerry contre George W. Bush, ce n’est pas une stratégie qui fait gagner, estime Kevin Wagner, professeur de sciences politiques à Florida Atlantic University. Comme Reagan en 1981, il doit donner aux Américains une raison de voter pour lui. »

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