Nos cousins germains

Du SPD à Die Linke, la gauche française a aussi été inspirée par l’évolution de la social-démocratie d’outre-Rhin.

Denis Sieffert  • 10 mai 2012 abonné·es

Le Parti socialiste français a une caractéristique : il a changé de position, et presque de nature, sans jamais le dire, et peut-être même sans se l’avouer. À la différence du Sozialdemokratische Partei Deutschlands (SPD), qui a opéré explicitement sa mutation lors du congrès de Bad Godesberg en 1959, le PS n’a officiellement jamais rompu avec le marxisme. C’est lors de ce congrès que les sociaux-démocrates allemands ont décidé d’abandonner toute référence au marxisme, transformant le SPD en un parti réformiste favorable à l’économie de marché. D’autres partis européens ont assumé officiellement de semblables ruptures, comme le parti social-démocrate suédois dès 1932, et le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) en 1979.

Les socialistes français n’ont pas eu leur Bad Godesberg, mais ils ont leur « parenthèse libérale », ouverte en 1983 au nom d’arguments de conjonctures et jamais refermée. Or, les socialistes ont, depuis ce tournant, gouverné pendant treize ans (1983-86, 1988-93 et 1997-2002). Ils ont procédé à des privatisations, ouvert les services publics à la concurrence, supprimé l’indexation des salaires sur les prix, créé les 35 heures mais renoncé aux contreparties en termes d’emplois ; ils se sont alignés sur ­l’Europe libérale, ont ratifié le traité de Maastricht, qui institue l’indépendance de la Banque centrale européenne, défiscalisé les stock-options, signé le traité d’Amsterdam en 1997. Sans parler de leur action dans l’opposition. Une opposition bien conciliante. N’ont-ils pas appelé à voter en faveur du TCE en 2005 ? N’ont-ils pas, en 2008, permis l’adoption du traité de Lisbonne par leur abstention ?

En réalité, le Parti socialiste a sauté une étape, celle du réformisme. Car si le SPD allemand a rompu explicitement avec le marxisme en 1959, il fut, au cours d’une longue période intermédiaire, réformiste. Il n’est devenu ouvertement libéral que beaucoup plus tard, en 1998, avec l’arrivée à la chancellerie de Gerhard Schroeder. Ce n’est même qu’en 1999, avec la démission du président du parti et ministre des Finances, Oskar Lafontaine, opposé à la politique libérale – et qui allait créer Die Linke –, que Schroeder a eu les mains libres pour appliquer une devise chère à Willy Brandt : « Une majorité à gauche du centre ». Enfin, c’est en 2003, avec la publication du programme de réformes libérales du chancelier Schroeder – l’Agenda 2010 –, que le pas a été vraiment franchi.

En empruntant des chemins différents, le SPD et le PS sont arrivés l’un et l’autre à la « gauche du centre ». Pour être tout à fait juste, il faut dire que les socialistes français n’ont jamais été jusqu’à former des gouvernements de coalition avec la droite, comme ce fut le cas en Allemagne de 1966 à 1969, puis de 2005 à 2009. Et comme c’est encore le cas aujourd’hui dans la ville-État de Berlin. La tradition sociale française gauche-droite a résisté.
Mais le « modèle allemand » a aussi un autre versant. C’est Die Linke, né d’une alliance entre les socialistes proches d’Oskar Lafontaine et les communistes, qui a inspiré Jean-Luc Mélenchon et les fondateurs du Front de gauche.

Publié dans le dossier
Dépêchons-nous de rêver
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