Pierre Larrouturou : « Il faut un autre modèle »

Pierre Larrouturou estime que le projet du PS est insuffisant, car la croissance
ne reviendra pas. La seule issue, c’est d’inventer une autre manière de produire et consommer.

Thierry Brun  • 17 mai 2012 abonné·es

Selon l’initiateur du collectif Roosevelt 2012, il est urgent de faire le deuil de la croissance et de prendre en compte le dérèglement climatique. Sans quoi aucune sortie de la crise ne sera possible.

Vous jugez très grave la situation économique et sociale en France et en Europe. Qu’est-ce qui fonde ce jugement ?

Pierre Larrouturou : D’abord les chiffres. Plus de cinq millions d’hommes et de femmes sont inscrits à Pôle emploi, sans compter tous ceux qui sont au RMI, au RSA, ont des boulots précaires…

Ensuite, il n’y a aucune perspective de retour à la croissance. On peut sans doute éviter la récession au niveau européen et au niveau du G20, mais le retour à la croissance n’est pas la solution : il faut en faire le deuil. Le Japon, présenté il y a vingt ans comme le pays qui dominerait le monde, n’a même pas un point de croissance, malgré ses plans de relance ­pharaoniques et son investissement dans la recherche et les nouvelles technologies.

Enfin, la question de l’effet de serre : les dernières études montrent que le dérèglement climatique est en train de nous échapper.

La crise est en train de s’aggraver rapidement. Il y a un risque de récession aux États-Unis et en Chine. Aux États-Unis, la dette totale arrive à 360 % du PIB. Du jamais vu, même dans les années 1930. En Chine, la bulle immobilière est en train d’éclater. On parlera de l’année 2012-2013 dans les livres d’histoire.

Les engagements de François Hollande sont-ils à la hauteur ?

Le projet du PS tel qu’adopté en 2010, quand beaucoup disaient que la crise était finie et que la croissance allait revenir, n’est pas à la hauteur. Il y a un G20 dans un mois au Mexique. On aimerait que François Hollande y aille pour inviter, avec d’autres chefs d’État, l’ensemble des dirigeants du G20 et des pays les moins avancés à un véritable forum d’au moins trois semaines de travail, dès septembre 2012. En France, ce qui nous paraît le plus important, c’est l’organisation d’un sommet social, qui ne dure pas que quelques jours mais trois mois, comme les partenaires sociaux l’ont fait aux Pays-Bas il y a trente ans. Le pays cumulait chômage, précarité et un déficit commercial très important. Tous les syndicats, les mouvements patronaux, les associations, les experts ont apporté leurs idées, et ils ont débouché sur un nouveau contrat social qui a divisé par deux le nombre de chômeurs.

En 1944, il y a eu la conférence internationale du travail à Philadelphie, aux États-Unis, qui faisait de la justice sociale une priorité. La même année, à Bretton Woods, les dirigeants des pays occidentaux ont établi un nouveau système économique mondial. Le système a tenu trente ans avant d’en arriver aux politiques néolibérales. Trente années de prospérité, sans fuite en avant, sans dette. Notre collectif Roosevelt 2012 souhaite un nouveau Bretton Woods, un Bretton Woods 2.0.

Mais le New Deal de Bretton Woods s’appuyait sur une relance keynésienne. Or, vous dites que la croissance ne reviendra pas…

Oui, il faut inventer un nouveau modèle. Pour schématiser, l’un des buts de Roosevelt et de Ford était que tout le monde ait un boulot pour avoir un bon salaire et acheter une voiture. Aujourd’hui, vu notre empreinte écologique, ce n’est plus ça. Il faut qu’on soit capable de vraies innovations en matière sociale et industrielle. Ce n’est pas en améliorant la bougie qu’on a inventé l’électricité. Il y a eu des moments où on a été capables de vraies ruptures technologiques. Je crois de moins en moins à ces négociations internationales, mais il peut y avoir un effet de domino positif si un pays sort ­vraiment de la crise sociale et environnementale. Tous les pays cherchent des solutions et tous les peuples s’observent.

Ce qui nous paraît intéressant chez Roosevelt, c’est la volonté politique. Quand il arrive au pouvoir, le pays est sinistré, et la plupart des gens croient qu’il n’y a pas de solution car Hoover ne faisait rien. Dès son arrivée à la Maison Blanche, Roosevelt s’est adressé à la radio pour parler des réformes qu’il allait entreprendre. Si l’on s’adresse à l’intelligence des citoyens et qu’on a une volonté politique d’agir, on peut faire bouger les choses.

L’histoire montre que ce qu’on fait les premiers mois est fondamental. Sarkozy ne s’est jamais remis des réformes qu’il a lancées au cours des trois premiers mois. L’état de grâce d’Obama n’a duré que six mois…

Sur quelles forces Roosevelt 2012 peut-il s’appuyer ?

On compte sur les syndicats, les citoyens engagés, comme les Indignés, les militants, les élus des partis politiques. On va envoyer notre manifeste à tous les candidats des forces de gauche aux législatives. Nous voulons leur dire de ne pas se tromper de diagnostic, il s’agit bien d’une crise du capitalisme, qui a commencé avec l’arrivée de Ronald Reagan et qui atteint une telle gravité que les solutions classiques de l’État providence ne suffisent pas.

Nous avons des contacts avec des membres de l’équipe de François Hollande. Il a déjà invoqué un New Deal européen après sa rencontre, lors d’un débat, avec Stéphane Hessel, qui lui a remis nos propositions. Il paraît que c’est une des raisons pour lesquelles il avait musclé un peu son programme sur les questions de fiscalité.

Temps de lecture : 5 minutes