Retraites et libertés : les premiers chantiers

Réforme des retraites, annonces de mesures pour l’Éducation nationale, situation des sans-papiers, grève des avocats auprès de la Cour nationale du droit d’asile, devenir de la loi Hadopi… Autant de dossiers dont se trouve saisie la nouvelle équipe ministérielle, qui, avant les législatives, doit donner l’impression que le changement est en marche.

Michel Soudais  et  Clémence Glon  • 31 mai 2012 abonné·es

Le temps des institutions et celui de la communication n’avancent pas au même rythme. La semaine dernière, alors que le gouvernement cherchait à montrer qu’il était au travail et prenait déjà à bras-le-corps les problèmes les plus urgents, le second conseil des ministres de l’équipe Ayrault, le 23 mai, a été principalement consacré à la présentation par le Premier ministre des décrets fixant les attributions des ministres.

Les seules véritables décisions adoptées ont porté sur des mesures d’ordre individuel dans le monde des hauts fonctionnaires. Mais le gouvernement aura surtout communiqué sur sa « méthode pour la préparation de la conférence sociale », dont le premier chantier emblématique concerne les retraites. Les modifications de la loi sur les retraites devraient être adoptées par décret « dans les trois semaines », a indiqué Jean-Marc Ayrault sur RTL, et concerner 100 000 personnes la première année.

Le droit de partir à la retraite à 60 ans à taux plein sera rétabli, on le sait, pour ceux qui ont commencé à travailler tôt et ont cotisé 41,5 ans. Mais le gouvernement peine encore à définir avec précision les bénéficiaires de cette mesure. Le décret prendra « en considération les périodes de maladie, chômage, invalidité », a précisé la porte-parole du gouvernement Najat Vallaud-Belkacem à l’issue du Conseil des ministres. Avant de se raviser : « C’est la concertation qui devra définir ce qui sera pris en compte » parmi les périodes de congés maladie et de chômage.

L’arbitrage s’annonce délicat pour le gouvernement, qui a prévu de consacrer un milliard d’euros à cette réforme symbolique : en exclure ceux qui auraient connu des périodes de chômage en réduirait certes le coût, mais diminuerait la portée réelle d’une mesure qui ne bénéficierait qu’à un petit nombre de salariés.

À quelques jours des législatives, le gouvernement doit absolument donner l’impression que le changement est en marche. D’où quelques déplacements bien choisis, comme celui d’Arnaud Montebourg à Gemenos, vendredi dernier, pour annoncer aux salariés en lutte depuis plus de 600 jours contre la fermeture de l’usine Fralib que son propriétaire, Unilever, acceptait de reprendre les négociations sur des scénarios de reprise. Ou celui de Vincent Peillon, samedi, au congrès de la FCPE qui se tenait aux Sables-d’Olonne.
À la tête d’un des secteurs les plus meurtris par le quinquennat Sarkozy, Vincent Peillon entretient la confiance que lui portent les professionnels de l’éducation à coup de grandes annonces et de décisions budgétairement neutres. Avant de se rendre auprès de la FCPE, il a spectaculairement rendu publics 17 rapports de l’inspection générale restés cachés jusque-là. Pour cet acte de transparence ainsi que l’annonce de « mesures d’urgence » pour la rentrée et de réformes concrètes d’ici l’été, le nouveau ministre, qui s’est autoproclamé « ministre des élèves », a été longuement applaudi par ses hôtes.

Pourtant, la suppression des 14 000 postes programmée par l’ancien gouvernement pour septembre prochain aura bien lieu. Même si, pour en limiter les dégâts, Vincent Peillon veut recruter 1 000 professeurs répartis dans les écoles primaires en crise, le pansement paraît bien fragile à l’heure où les Rased (réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté) ont été dépouillés de leurs moyens. D’ici quelques jours, une concertation avec l’ensemble des partenaires de l’éducation se tiendra au ministère afin d’organiser la rentrée. En ajoutant à cette pile de dossiers les questions de la semaine de 5 jours et de la réforme des évaluations en primaire, les semaines de travail s’annoncent chargées.

Mais c’est sur le terrain des libertés, sur lequel il ne peut invoquer les contraintes économiques, que le gouvernement aura sans doute le plus de difficultés à calmer l’impatience des électeurs de gauche. La question du sort des sans-papiers a subitement ressurgi, le 22 mai, après un coup de filet du Codaf (comité opérationnel départemental anti-fraude) des Hauts-de-Seine sur le chantier du fort d’Issy-les-Moulineaux.

Alors que près de 1 000 ouvriers du bâtiment travaillent à la construction d’un écoquartier, une délégation de 300 gendarmes et policiers est venue contrôler une bonne partie d’entre eux. Résultat des courses dressé par le parquet de Nanterre : 46 infractions pour travail dissimulé sur les 171 sociétés présentes, 11 gardes à vue de travailleurs sans papier et deux obligations de quitter le territoire français (OQTF). Impossible encore de connaître le nombre exact de personnes envoyées en CRA au Mesnil-Amelot et à Vincennes.

Habiba Bigdade, présidente de la fédération locale de la Ligue des droits de l’homme, n’hésite pas à parler de rafle : « Ce n’était pas un contrôle du travail ordinaire. Les forces déployées étaient énormes. » Selon elle, une grande majorité des ouvriers vivent en France depuis plus de cinq ans et devraient être régularisés. « Il nous faudrait au moins la liste des personnes arrêtées afin de pouvoir organiser leur défense », déplore Habiba Bigdade. Du côté du parquet, on promet de faire un compte rendu détaillé de la situation d’ici à deux semaines. Le temps de faire avancer l’enquête. Et de mener à terme les expulsions.

Plus embarrassante encore, la grève des avocats auprès de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) pose publiquement la question du respect du droit des demandeurs d’asile. La CNDA statue sur les recours formés contre les décisions de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et peut accorder le statut de réfugié aux demandeurs non admis par Ofpra. Mais, depuis le 14 mai, l’ensemble des audiences est renvoyé. Dans une lettre ouverte, les défenseurs grévistes dénoncent « une vision mécanique et chiffrée [de la CNDA] au mépris d’un ­traitement apaisé et digne des dossiers des demandes d’asile ».

Afin que les réfugiés ne soient plus considérés comme des « justiciables de seconde catégorie », le fonctionnement de la cour spécialisée doit être revu sur le fond comme sur la forme. La première décision en matière de droit d’asile revient à l’Ofpra, administration rattachée au ministère de l’Intérieur. Les ­grévistes regrettent qu’il ne soit pas une juridiction indépendante. En 2011, seules 10,8 % des demandes auprès de l’Ofpra avaient débouché sur une décision favorable. La même année, la CNDA accordait le statut de réfugiés à 19,3 % des demandeurs faisant appel.

Les avocats pointent également des dysfonctionnements. Ils ne comprennent pas l’ajout de l’Arménie, du Mali ou du Bangladesh sur la liste des pays dits sûrs, qui prive leurs ressortissants d’un accès à la cour. Ils remettent en cause également les ordonnances de tri qui permettent un rejet pur et simple des dossiers et concernaient 13,5 % des décisions rendues par la CNDA en 2011. Les grévistes souhaitent rencontrer la garde des Sceaux Christiane Taubira pour évoquer tous ces problèmes.

Une autre polémique a surgi autour du devenir de l’Hadopi. Trois nominations inquiètent les opposants au dispositif. Gilles Le Blanc, le directeur adjoint du cabinet d’Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication, a cosigné un ouvrage sur les enjeux économiques de la distribution des contenus avec Olivier Bomsel, un des membres de la mission Olivennes à l’origine de l’Hadopi. Pierre Lescure, ex-patron de Canal+, a été chargé de piloter une mission de six mois sur l’Hadopi, or il siège au conseil d’administration d’une société spécialisée dans la gestion des droits numériques, le groupe Kudelski. Une situation de conflit d’intérêt ? La question est publiquement posée. Comme elle l’est avec la nomination, comme conseiller pour les médias et la culture du président de la République, d’un autre opposant à l’abrogation d’Hadopi, David Kessler (Les Inrocks), qui était le bras droit pour les médias du banquier d’affaires Matthieu Pigasse. De quoi faire douter de la promesse de François Hollande de « gouverner autrement ».

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